Pour
parler comme nos jeunes, elle me gave, cette affaire. Oui, grave !...
Essayons
d'y voir plus clair, un angle d'approche après l'autre.
Je
vais être un peu longue, alors les impatients pourront sauter
directement à la conclusion. :-)
Évolution
de la langue : devait-on se précipiter ?
(Tiens, à propos... "Bruler" sans accent circonflexe, ça fait tiède, je trouve. Et "l'abime" manque de profondeur...)
Le français évolue de lui-même, au fil des décennies, des siècles. C'est
un phénomène naturel. Décréter qu'il faut tout changer, là,
maintenant, c'est aussi vain que présomptueux. Laissons plutôt agir
le temps, ce grand maître...
Et
si je puis me permettre un petit mouvement d'humeur, je suis beaucoup
plus choquée de lire ou d'entendre la façon dont on maltraite notre
belle langue dans les médias, la pub etc.
Dans les écoles : un cadeau empoisonné...
Concernant les enseignants qui n'approuvent pas cette directive,
veut-on vraiment leur envoyer le message « on s'en fiche de ce
que vous pensez ? »
Alors,
je vous le demande, pourquoi ne pas se contenter de faire œuvre de
pédagogie, en expliquant le caractère désuet de certaines exceptions pour préparer
les Français à leur abandon progressif, tout en faisant la promotion d'une tolérance totale vis-à-vis de l'une et l'autre graphie ?
Dans la société : l'art de cliver pour pas grand-chose !
Les
parents qui tiennent à l'ancienne graphie se sentiront remis en
question par le système scolaire, et verront leurs enfants penser ou
dire qu'ils ont tort.
Les familles saignent déjà de nombreuses
blessures, fallait-il vraiment ajouter un autre point de désaccord
entre générations ?
Dans
le monde du travail, les jeunes employeurs ou cadres adeptes de la
nouvelle graphie ne seront-ils pas tentés de juger dépassés,
incapables d'adaptation, les auteurs de lettres de candidature
« ancienne graphie » ?
Et
ainsi de suite. Il ne sert à rien de se moquer des personnes qui
protestent à l'annonce de cette mesure. Leur réaction signifie tout
simplement que ladite mesure est « clivante »...
Question de principe : pourquoi donc passer en force ?
Est-il
légitime d'imposer ces dispositions ? Est-ce juste ? Un
droit fondamental de l'être humain est-il en jeu, ou une question de
justice, d'égalité ?
Non,
au contraire ; on attente à la liberté des gens, puisque,
certes, ils pourront toujours pratiquer la graphie ancienne, mais,
qu'ils soient parents, formateurs, employés, auteurs..., ils
encourront, nous l'avons vu, le risque d'être jugés là-dessus.
Les
personnes « coupables » de mal maîtriser les exceptions orthographiques étaient déjà victimes d'un jugement, va-t-on me répliquer.
Certes. Et
maintenant tout le monde sera jugé, qu'il use de l'une ou de l'autre
graphie. Le beau progrès que voilà !
Si
tant est qu'il ne s'agisse pas d'une simple manœuvre de diversion,
comme il en surgit depuis toujours aux heures de grande instabilité
sociale - mais ceci est une autre histoire -, imposer aux forceps une
mesure non essentielle représente un viol politique, un déni de
démocratie, ni plus ni moins.
Question qui fâche : s'agit-il d'une méprise idéologique ?
Certains,
dans leur générosité, aimeraient éradiquer de force l'orthographe
« ancienne », « savante », qui, pensent-ils,
permet à une « élite » de prendre de haut les
« non-instruits », les jeunes, les personnes d'origine
étrangère, etc.
Comme
ils se trompent !
Mes
grand-parents, en charge d'une école de campagne, en ont vu passer,
des jeunes « paysans » - ainsi disait-on à l'époque -
qui venaient, au prix d'une longue marche en sabots après la traite
du matin, recevoir l'inappréciable don du savoir...
Les
complexités de la langue française ne rebutaient pas ces enfants, et tous
ont fait, parfois très brillamment, leur chemin dans
l'existence.
Ils
ont fêté chaque année leurs anciens instituteurs jusqu'à la mort
de ces derniers. Jamais je n'en ai entendu aucun exprimer qu'il
s'était senti humilié par les exigences de la langue, sous le
prétexte qu'il ne la maîtrisait pas « de naissance ».
Au contraire, conquérir cette maîtrise si ardue les emplissait de
fierté.
Autres
temps, me dira-t-on... D'accord. Mais je ne croirai jamais, au grand jamais, qu'abaisser la difficulté
procède d'une démarche bienveillante envers les défavorisés.
Bien
au contraire, c'est un geste condescendant.
C'est le choix de la facilité
et de la démagogie.
C'est
le parti-pris irresponsable de ne pas se battre de toutes ses forces
pour élever le niveau de tous ; et par conséquent, de laisser
prospérer, au détriment des humbles, les « nantis » qui
ont les moyens d'acquérir un savoir « élitiste » et qui
le cultivent entre eux, comme un signe de reconnaissance.
Question qui gêne : et si simplifier nous faisait du tort ?
Car
enfin, au nom de quoi prôner la « simplification »,
quand on a la moindre idée des capacités cognitives d'un
jeune cerveau ?
Pourquoi
ne pas, au contraire, ouvrir ses ailes, si je puis dire, en lui permettant de se
colleter avec des difficultés qui développeraient le nombre et
l'efficacité de ses connexions cérébrales ?
D'accord, nous ne
sommes pas des animaux de laboratoire, mais nul ne peut nier que nous aussi, la
difficulté nous rend plus performants.
Performance,
un mot que détestent les idéologues ! Mais à moins que l'on
n'instaure, d'un coup de baguette magique, un monde régi par des
règles 100% différentes, penser efficacement est le seul
moyen d'améliorer notre condition humaine – et je ne parle pas seulement d'amélioration matérielle, loin de là.
Pour
conclure : le vrai problème est ailleurs...
Car
je crains qu'il ne faille attribuer principalement cette
pseudo-réforme à la pédanterie dantesque qui, pour le malheur de nos enfants - et donc le nôtre - sévit dans une certaine intelligentsia universitaire, en particulier chez les
auteurs de manuels scolaires.
Puisque
le prétexte est d'aller vers la simplicité, rappelons-nous « l'ancienne manière » d'enseigner les exceptions - par exemple, concernant l'accent circonflexe, l'inoubliable cime avec son chapeau de neige qui est « tombé dans l'abîme ».
N'était-ce pas plus simple, plus évocateur, plus facile à mémoriser que le
jargon abscons dans lequel sont désormais rédigés les manuels ?
(Ne parlons même pas de ce que l'on enseigne aux futurs instituteurs,
bombardés de formules à hurler de consternation, comme le tristement célèbre « référentiel bondissant », tellement plus gratifiant pour l'ego de son inventeur qu'un simple... ballon !)
Comment
s'étonner de perdre en route une bonne partie des « sujets
apprenants », oh pardon, des élèves ?...
Les
parents eux-mêmes, quel que soit leur niveau d'études, s'effarent
et se découragent devant ce galimatias, beaucoup plus traumatisant
qu'une affaire d'accents circonflexes.
C'est
peut-être là, plus que dans un arasement forcené des difficultés de la
langue française, qu'il faudrait rechercher des marges d'amélioration.
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