.Je
n’ai pas oublié que je vous avais promis la suite de ma série
d’articles sur l’édition, mais mon programme a été pas mal
désorganisé par le succès inattendu de Zone franche et de Propos
d’homme à homme, respectivement sur Amazon et monBestSeller. Du
coup, je me suis livrée à de petites expériences de promotion de
mes livres sur facebook, et j’en partagerai très prochainement les
résultats.
AVERTISSEMENT :
Aujourd’hui, je m’apprête aussi à aborder ce sujet complètement
tabou : les ventes de nos livres.
Auteurs,
mes frères et sœurs, en ce jour particulier de l’an de grâce
2016, reconnaissons solennellement que même les plus désintéressés
d’entre nous (je n’en fais qu’à moitié partie, ayant un ado à
nourrir) ont besoin de vendre leurs ouvrages, ne serait-ce que pour
rencontrer de nouveaux lecteurs.
Je
dis bien : vendre, sachant qu’un préjugé tenace donne à
penser que livre gratuit = mauvais livre. C’est absurde, mais c’est
ainsi.
Bon,
il y a peut-être des auteurs qui n’écrivent que pour eux-mêmes,
mais alors pourquoi publient-ils ?…
Conclusion
qui fait mal : un auteur doit vendre sa soupe ; c’est son
job, sinon sa raison d’être – laquelle, nous sommes bien
d’accord, est d’écrire.
Permettez-moi,
pour commencer, de vous raconter une histoire juive que j’ai
toujours trouvée non seulement drôle, mais très pertinente. Et
particulièrement dans notre cas.
« Éphraïm
et Morchechaï sont deux marchands d’art qui possèdent chacun une
petite galerie plutôt miteuse dans une ruelle de Brooklyn.

Lorsqu’ils
repartent tous les deux, Éphraïm tout content portant sous le bras
son acquisition, Mordechaï se perd en conjectures : « Je
connais bien Éphraïm ; il écorcherait une puce pour avoir sa
peau, et voilà qu’il crache cent dollars sans même discuter le
prix, pour un tableau que je n’avais même pas remarqué !
Pour que ce vieux filou ait fait une chose pareille, l’œuvre doit
valoir au moins mille dollars ! »
Après
mûre réflexion, il se décide : « Écoute, Éphraïm, ce
tableau que tu viens d’acheter… Il me plaît, à moi aussi ;
je le verrais bien dans mon salon. Je t’en propose cinq cents
dollars ».
Éphraïm
hésite, puis finit par accepter. Mordechaï sort son chéquier et
signe un chèque de 500 $ à l’ordre de son ami.
Mais
à peine le tableau a-t-il changé de mains qu’Éphraïm se met à
gamberger : « Je suis complètement fou, pourquoi ai-je
accepté ? Si Mordechaï, qui vendrait sa grand-mère pour dix
dollars, vient de m’en offrir cinq cents, c’est qu’il sait une
chose que j’ignore. En réalité, cette petite croûte doit avoir
beaucoup de valeur. Sûrement cinq mille dollars, au moins ! »
Quelques
jours plus tard, Éphraïm se présente donc chez son ami et lui
propose de lui racheter son tableau pour deux mille cinq cents
dollars. Mordechaï accepte, et Éphraïm repart avec le tableau.
Bien
entendu, Mordechaï ne tarde pas à se dire : « Ma parole,
je me viens de me faire avoir ! Si Éphraïm m’a racheté ce
tableau 2 500 $ avec autant d’empressement, c’est qu’il
en vaut au moins 25 000 ! »
Et
ainsi de suite…
Cinq
ans plus tard, Éphraïm et Mordechaï se retrouvent au cours d’un
cocktail que donne le premier à l’occasion d’un vernissage dans
sa somptueuse galerie de la cinquième avenue.
-
Hé, Mordechaï, notre tableau que je t’ai vendu la semaine
dernière pour trente millions de dollars… Je t’en propose
soixante millions.
Et
là, Mordechaï dit :
-
Non. Désolé, mon ami, mais cette fois, j’ai décidé de le garder
pour ma villa de Beverly Hills.
Alors
Éphraïm devient tout pâle et s’écrie :
-
Mais tu es fou ! De quoi allons-nous vivre à présent, toi et
moi ? »
J’espère
que vous avez apprécié le sel de cette histoire. Parce que, désolée
de remuer le couteau dans la plaie, mais elle me fait
irrésistiblement penser à notre situation, à nous autres auteurs
indépendants.
En
effet, à qui vendons-nous nos livres, pauvres de nous ?
Rarement
à des lecteurs, sauf dans le cas des pionniers qui ont fidélisé un
lectorat depuis belle lurette, ou de quelques heureux élus qui se
sont fait remarquer sur Amazon.
Pas
non plus aux blogueurs : même ceux qui, loués soient-ils,
s’intéressent aux indés, nous lisent en vertu du principe :
« un livre gratuit contre une chronique ». Ils n’achètent
pas, donc (sauf pour soutenir un auteur de temps à autre, merci à
eux).
Non :
comme Éphraïm et Mordechaï, nous faisons nos affaires en vase
clos. Surtout que de nos jours, la plupart des lecteurs et des
blogueurs écrivent aussi…
Résultat ?
Sur facebook, nous échangeons majoritairement entre auteurs. Nous
faisons notre promotion dans des groupes d’autres auteurs indés,
et de même que nous nous intéressons à ce qu’ils écrivent, ce
sont eux en priorité qui achètent, lisent, et souvent commentent,
nos ouvrages.
Alors,
comme la petite affaire de nos deux marchands d’art, les choses
peuvent tourner ainsi pendant longtemps. Mais est-ce vraiment ce que
nous cherchons ? Ou, en dehors du plaisir certain de découvrir
nos amis auteurs, avons-nous pour objectif naturel d’aller à la
rencontre des lecteurs ?
Si
c’est le cas, nous ne sommes pas sur la bonne voie.
Comme
je le disais, aussi agréable qu’il soit de nous entrelire les uns
les autres (dit comme ça, cela fait un peu pratique sexuelle
scabreuse, désolée), sur facebook nous tournons en rond, même si
le vivier d’auteurs-lecteurs, et donc acheteurs, semble s’étendre
de façon exponentielle.
De
plus, au risque d’être très désagréable, je vais soulever une
pénible vérité : ces lectures croisées, si tant est qu’on
en trouve le loisir (moi, je ne demanderais que cela, mais les
journées ne sont pas extensibles…), prennent sur un temps qui
devrait normalement être consacré à l’écriture. Rien que
l’inévitable promotion/communication mange déjà la moitié de
notre vie d’auteurs !
Je
soupçonne d’ailleurs les auteurs si acharnés à trouver un
éditeur, d’aspirer, entre autres motivations, à pouvoir enfin ne
faire que cela : écrire, tandis que papa éditeur se
débrouillerait pour leur trouver des lecteurs.
Sacré
paradoxe, vous ne trouvez pas, que de rêver de s’enchaîner pour
avoir enfin l’illusion d’être libre !
Bref,
moi, j’adore communiquer, mais il faut bien avouer que du coup, à
part remanier de vieux manuscrits, je n’ai pas pu écrire plus de
quelques pages en 6 mois. Et si je rencontre ce problème, combien
êtes-vous, mes amis, à le rencontrer aussi ?
Mais
où et comment trouver des lecteurs purs et durs, si j’ose dire ?
Sur
Amazon, cela ne peut être que par un hasard qui confine à la
loterie.
J’ai
fait l’expérience de présenter un roman assez littéraire, dont
le sujet est une histoire d’amour, avec une couverture très
Harlequin. Résultat, il s’est trouvé propulsé dans le top 100
dès l’issue de la promotion gratuite KDP Select. Il y est resté
moins d’un mois, ce qui n’est pas le Pérou.
Et
quand on regarde le top 100, on comprend pourquoi : les
« littératures » sentimentale et érotique sont très
largement majoritaires, accompagnées de quelques comédies ou romans
dits « feel good ». Ces genres ont leur public, qui n’est
pas du tout celui des lecteurs de romans « littéraires ».
Et
si les amateurs de SF, de fantasy ou autres genres pointus ont le
réflexe de se diriger vers les top 100 spécialisés, les amateurs
de romans littéraires doivent aller pêcher leurs lectures parmi
près de cent mille ebooks Kindle.
D’où
les conseils que l’on vous donne : écrire ce qui se vend en
masse, ou ce qui correspond à une « niche » porteuse.
Oui,
mais si vous, vous écrivez du roman au sens large ? Ou pire, du
roman littéraire, autrement dit, soyons honnêtes, quasi illisible,
ou du moins pénible à lire, aux yeux de la majorité des lecteurs
actuels, habitués à la « malbouffe » de la production
littéraire industrielle ?
D’où
ma proposition de rassembler les auteurs un peu « atypiques »,
ceux qui font de la littérature pas-trop-grand-public, ceux qui
pratiquent le multigenres (non, ce n’est pas non plus une
orientation sexuelle), ceux qui mériteraient d’être en tête de
gondole pour servir de figure de proue à toute la littérature
autoéditée, qui, n’en soyons pas vexés, aurait bien besoin
d’être revalorisée dans l’esprit du grand public, des
blogueurs, des médias et de la grande édition.
Parce
que, jusqu’à présent, qu’est-ce que nous sommes, à part un
grand vivier inorganisé, ou plutôt, organisé autour de quelques
pôles non coordonnés ; un vivier où les éditeurs pêchent
parfois quand ça les arrange, qui impressionne par son nombre, mais
qui suscite beaucoup plus de critiques que de louanges ?
Qu’il existe de nombreuses initiatives intéressantes, méritantes, dynamiques, n’empêche pas d’essayer AUSSI une action globale, à la fois plus généraliste et plus pointue.
Et ce n’est pas parce que je me bats pour cette idée que ce serait « mon » action ; ce serait celle de tout le monde, d’où sa force.
Je me (ré)explique : une vitrine qui ne rassemblerait que « la crème des indés », comme il se doit pour une vitrine, mais qui les rassemblerait tous, et que l’on pourrait promouvoir collectivement avec une énorme force de frappe.
Parce que, disons, 500, ou 1 000 auteurs, ou davantage, faisant la promotion d’un site unique, où tous les lecteurs francophones pourraient venir faire leur marché en étant sûrs de ne pas avoir à trier parmi des milliers d’ouvrages, cela serait forcément plus efficace que 500, 1 000 auteurs ou davantage faisant leur promotion chacun dans son coin.
Et que l’on ne me dise pas que déterminer qui pourra ou non figurer dans cette vitrine représente un problème éthique ou pratique !
Nous sommes tous capables de déterminer presque au premier regard si un ebook écorche les yeux, donne envie de demander à son auteur s’il l’a écrit entre deux trips à l’acide tout en faisant ses courses au supermarché, ou encore, endort le lecteur mieux qu’une triple dose de somnifères – bref, NE PEUT PAS être utilisé pour promouvoir la littérature indé dans son ensemble ; ou si, au contraire, il le peut.
Je ne vais pas revenir sur le serpent de mer de l’élitisme, ni sur les pinaillages idéologico-égotiques qui nous poussent à refuser toute idée d’un tri, ni sur la frilosité qui incite à laisser les choses en l’état, parce que jusqu’à présent ça allait bien comme ça, et que l’on craint de ne pas être parmi les « élus » si les « trieurs » ne jouaient pas le jeu loyalement.
Voilà, c’était ma réflexion du jour, enfin d’il y a déjà quelques semaines : depuis début mai je corrige pour des amis auteurs, alors je suis encore plus surbookée que d’habitude.:-)
La prochaine fois, je publierai justement à ce propos : comment doit-on corriger son manuscrit, dans quel but, avec quels impératifs ?…
Excellente
fin de week-end à toutes et à tous !
Aucun commentaire:
Publier un commentaire