Le
roman de Didier Betmalle « La table des reliefs » a
réussi à m'étonner, ce qui m'arrive trop rarement. Quand on est
écrivain, on démêle assez facilement les intentions de l'auteur :
la plupart du temps, on le voit venir, avec ses plus ou moins gros
sabots que l'on a chaussés nous aussi un jour ou l'autre ! La
liste des intrigues et rebondissements possibles n'est pas illimitée,
et l'on est habitué à déceler les ficelles qui sous-tendent les
plus subtils schémas de narration.
À
ce sujet, ami(e)s auteurs, voici quelques suggestions d'articles
propres à vous intéresser (ou à vous faire fuir, c'est selon).

Blanche et lisse comme une serviette, la couverture s'efface devant le contenu.
Tout
commence de façon presque banale, par une entrée en matière assez
classique. Réflexion à ce stade : « Pas mal, mais où
veut-il en venir ? » Hé oui, l'on se demande quel plat
de résistance va nous être servi, tant sont vastes les
possibilités...
C'est
alors que Betmalle nous plonge dans le fantastique, si abruptement
qu'on en a les papilles presque révoltées. Son potage très
original immerge l'un des ingrédients, pardon, l'un des héros, dans
une situation tellement étrange que c'est presque burlesque ;
mais si l'humour ne manque pas, parsemé tout au long du roman comme
une pointe d'ail revigorante, l'angoisse est présente également,
soulignant de ses troublantes épices une visite guidée des méandres
de la psychologie humaine – sur le thème, entre autres, de la
culpabilité.
On
ressort de ce long passage essoré, hésitant entre sourire et
malaise, se disant en tout cas : quelle belle imagination !
Et
là, on se voit servir derechef, sans jeu de mots, une intrigue
policière à nouveau presque classique, quoique présentée de façon
piquante, persillée de réminiscences et de points de vue alternés.
Attention :
il s'agit aussi d'une intrigue à tiroirs, une cascade d'expériences
gustatives qui mêle plusieurs protagonistes avec chacun ses
motivations, parfois tortueuses.
Font
graduellement irruption des goûts qui râpent la langue et emportent
la bouche : le désir, la violence, la solitude, la haine,
auxquels nous avaient préparés les quelques touches perçues dans
le plat précédent ; mais de ce ragoût complexe s'exhale aussi
un fumet de douceur : la tendresse, le pardon, l'espoir.
Puis
l'horreur atteint un point culminant, transcrite avec une crudité –
toujours sans jeu de mots – insoutenable. Ma fibre féministe s'en
est même un peu émue, l'espace d'un instant ; il est des
sujets difficiles à aborder sans réticence. Mais j'ai l'estomac
solide, et puis l'on sent toujours en filigrane l'amour, note de fond
entêtée, entêtante.
Lorsque
l'on se croit arrivé au bout du festin, bousculé mais assez
satisfait de cette expérience, le dessert débarque en fanfare... et
l'on s'aperçoit que l'auteur, fieffé manipulateur, nous a égarés
de bout en bout : rien n'est ce que l'on croyait.
Le
repas s'achève alors sur une note douce-amère. Bien entendu, je ne
vous en dirai pas davantage...
Didier
Betmalle est un fin gastronome.
Si
la première pression du texte qu'il m'a soumis n'est pas exempte
d'impuretés, si elle demande à être raffinée pour atteindre sa
pleine saveur, j'en retiens surtout l'originalité et la grande
richesse sensorielle.
Ce
roman sollicite notre goût, notre vue, notre odorat, notre
toucher... Le passage sur les calissons, véritables madeleines de
Proust (patronyme de l'un des héros, entre autres clins d'œil de
l'auteur), est presque jouissif, tant il nous entraîne dans un
dédale de sensations comparable au dédale secret de nos neurones :
mémoire, fantasmes, errements d'un esprit perturbé...
Ça
et là, une jolie trouvaille joue les truffes et croque sous la dent,
savoureuse :
« Leur
bavardage, frétillant comme une noix de beurre jetée dans une poêle
brûlante ».
Alors, à table ! Je
vous invite à goûter ce roman intelligent, malicieux, sensuel
et original, ne serait-ce que pour ne pas oublier qu'il y a mille et
une manières d'accomoder une intrigue !
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