Chers amis, voici ma chronique de "Pétrichor : L'odeur de la terre mouillée.", un thriller de l'auteur indépendant Frédéric Soulier. Sortez vos petits sacs à vomi et accrochez-vous, ça décape.
Frédéric Soulier est un
auteur qui ne soigne pas son image comme il est bien vu de le faire,
en se faisant passer pour doux, lisse, pétri d'illusions et de bons
sentiments. Au contraire, il s'acharne à donner de lui un aperçu
aussi rugueux et provocateur que possible. Cela a suffi à susciter
ma curiosité, et presque ma reconnaissance, tant m'exaspère cette
époque qui se croit civilisée parce qu'elle se plaît à pratiquer
une forme raffinée de veulerie.
Oui, j'ai bien dit
« veulerie ». "Pusillanimité" sonne moins clair. Je suis très remontée, ce matin. Des
chairs explosent un peu partout, des enfants se font poignarder, et l'on crie haro sur les médias pour avoir osé montrer
des images à leurs téléspectateurs scandalisés... Hou, les malappris ! Les charognards ! (ça, ce n'est pas faux. Mais c'est leur métier, oui ou non ?)
Certes, il est tellement plus
confortable de ne pas voir, de ne pas savoir. De croire que nous
vivons dans un univers de bisounours, où drames et atrocités
ne seraient que des sortes de bugs – des dysfonctionnements à vite passer sous silence, des fois que cela
suffirait à les faire s'évaporer comme un mauvais rêve.
Moi qui ai vécu le plus clair de mon temps à l'étranger, je pourrais vous dire en quel
mépris nous tiennent des peuples encore enracinés dans le réel.
Ils raillent notre délicatesse de sentiments, poussée jusqu'au
point où, par crainte légitime de régresser vers la barbarie, nous
nous refusons au moindre sursaut, à la moindre prise de conscience,
au moindre instinct de conservation, et même à la défense de nos propres valeurs. À les entendre, cette débauche
de scrupules signifie que notre civilisation touche à son terme. Je
crains bien qu'ils n'aient raison.
Plus je vieillis, donc,
plus je déplore l'aveuglement qui conduit à se tromper de combat : travers classique des systèmes qu'un excès de vertu conduit à
ratiociner sur ce qui est convenable et politiquement correct, au
lieu de regarder en face les réalités du monde et de la nature
humaine...
Or, comme en amour, l'on ne peut pas aimer, l'on ne peut
pas guérir un être ou une société sans admettre ce qui est,
au lieu de ne considérer que ce que l'on préférerait voir.
Soulier, au contraire,
s'attache avec une constance méritoire à nous extirper de notre
zone de confort à la fourchette à escargots.
Lecteurs, je vous engage à ne pas vous impatienter
lors du long et lent démarrage, dans l'atmosphère désuète d'une
ferme au cœur de la Creuse. Imprégnez-vous de cette ambiance,
appréciez une plume qui n'a pas encore atteint son plein
épanouissement, qui n'est pas exempte de défauts, mais qui
transpire déjà le talent : riche, sonore, habile.
Et profitez-en pour
boucler vos ceintures. Ce à quoi nous invite l'auteur, c'est une
plongée à pic dans les plus sordides tréfonds de l'esprit. Âmes
délicates s'abstenir : on nous sert là du vrai, du cru, cette
réalité même qui cohabite avec nous, tout autour de nous, et que
nous refusons de prendre en compte.
La marque de fabrique de
Frédéric Soulier me paraît être une partition du roman en deux phases :
pas de lente montée en puissance et en mystère, mais un début
calme et douillet, presque soporifique, puis une seconde partie où
tous les démons sont lâchés, sans aucun égard pour la sensibilité
du lecteur. Pétrichor, ou la puanteur de l'humanité.
Il me faut aussi rendre
justice à ce récit atrocement précis et documenté, très loin des
approximations, voire des inexactitudes si agaçantes propres à trop
de thrillers. Soulier sait de quoi il parle, et le décrit sans
prendre de gants. Merci à lui, là encore, de ne pas chercher à
nous faire croire que les victimes, comme des licornes, défèqueraient
des paillettes en rendant leur dernier soupir. Les détails immondes,
cent pour cent réalistes, sont légion dans cet ouvrage ; cela rend l'immersion
totale et sans merci.
Pour finir, on serait
presque tentés de psychanalyser cet amateur de Céline ("Voyage au bout de la nuit" l'a marqué très jeune, je parie, comme l'un de ses personnages). Afin de discerner pourquoi sa
compréhension presque visionnaire de la noirceur de nos semblables
est aussi brutale, sans concession, et pourquoi il prend tant de
plaisir à nous l'asséner.
Quoi qu'il en soit,
amateurs de thrillers et de voyages bien gore au bout de la nuit de
l'âme humaine – ce qui, je le précise, n'est pas du tout mon cas –, délectez-vous de ce roman. Il ne triche pas, ne vous
prend pas pour des gogos, et l'on sent bien que si l'auteur n'hésite
pas à y répandre des tripes et à empoigner les vôtres, c'est tout
simplement parce qu'il écrit avec les siennes.
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