Je
confirme : Samir, le Maître confiseur (c'est d'ailleurs son pseudo) de « Bonbon »,
est l'un des auteurs autoédités les plus doués que j'aie lus
depuis une éternité. L'un des auteurs les plus doués, tout court,
car la grande édition ne produit plus guère, hélas, de
chefs-d'oeuvre littéraires au sens où je l'entends : celui
d'un style étincelant.
Cette
prose nerveuse, rythmée, fourmillant de succulentes trouvailles,
m'a rappelé les meilleurs orfèvres : Vian, Albert Cohen, la Sarrazin
et bien d'autres, presque oubliés de nos jours, mais qui avaient
cette même créativité rebelle, terriblement moderne et follement
poétique, à la Rimbaud. J'en riais de joie, comme un enfant les
mains plongées dans un coffre aux trésors, caressant des yeux les
joyaux, les écoutant cascader.
La
qualité de la correction (de très rares coquilles,
quelques erreurs de conjugaison trop répandues en autoédition : l'imparfait au lieu du passé simple, comme « je
me plantais face à elle » au lieu de « je me plantai », ou le conditionnel au lieu du futur) a achevé de me
séduire, moi qui souffre mille morts en lisant les manuscrits
d'aujourd'hui. À peine si j'ai regretté la mise en page alignée à
gauche, qui serait tellement plus présentable en mode justifié. La couverture, elle, était superbe. Mais peu importait l'écrin, je tenais là une vraie perle, que dis-je, une rivière, un Niagara de perles. Oui, Samir est un auteur qui, je
l'espère, écrira beaucoup d'autres choses ; il a l'étoffe
d'un véritable écrivain.
L'histoire, de son côté,
m'a rappelé Creezy, de Félicien Marceau : un
grand fauve conquérant qui tombe amoureux fou d'une beauté vide, et
s'en trouve très mal. Curieusement, les hommes riches et puissants sont
les premiers à perdre tous leurs moyens devant une jolie femelle
sans âme. Ils élèvent son esthétique au rang d'un tableau de
maître, d'un quatrain, d'une symphonie. Peu importe ce qui siège – ou pas – à
l'arrière-scène. Avez-vous remarqué que les grands capitaines
d'industrie, pourtant doués pour les affaires, épousent des
mannequins, frivoles de préférence, jamais des Marie Curie même ravissantes ? D'où,
peut-être, ces rejetons scandaleux affamés de passe-temps ruineux et futiles, qui traînent leur nez dans la blanche et le nom
paternel dans la boue au lieu d'utiliser leur fric pléthorique à
tenter de rendre le monde meilleur.
Donc,
l'histoire m'a rappelé Creezy, et j'étais aux anges, car ce brillant roman avait fasciné mes quinze ans. C'était, pour « Bonbon »,
un charme supplémentaire. Et Samir se tirait fort bien de la
comparaison, menant son récit à bride abattue, avec une grande
économie de phrases ; chacune faisait mouche, traversait
l'espace comme un baladin : une acrobatie aérienne, un effet de
manche cabotin, une guirlande de mots tressés comme par le plus
habile prestidigitateur... Du grand art.
Un exemple parmi cent ? « Derrière elle, des palmiers ployaient à s'en ouvrir les veines, cherchant désespérément à tremper leurs feuilles dans ses cheveux. »
Je me régalais, donc... Et
puis, cette phrase impardonnable à mes yeux :
« Ce
jour-là, je me suis promis de gifler la prochaine salope qui
viendrait me parler violences conjugales. L'oeil au beurre noir
qu'une fille a peut-être mérité, est risible face au pogrom
permanent que perpètre la beauté. La vraie. Celle qui écrase les
cœurs sur des tessons de bouteilles. »
Et
je me suis dis : encore un.
Encore
un homme – le narrateur, mais pourquoi l'auteur n'a-t-il pas pris la précaution élémentaire de s'en distancier ? vous savez, cet avertissement "Les opinions de mon personnage n'engagent que lui"... – un homme, donc, chez qui l'érection engendre la haine. Pour qui,
vouloir une femme à en crever, c'est en même temps rêver de le lui faire payer très cher. Pour qui le dégoût
n'est jamais très loin du désir.
J'ai eu la chance de ne pas avoir à vivre avec un homme de cette espèce, mais j'ai croisé bien des prédateurs dont l'oeil allumé de concupiscence trahissait la folie du pyromane. Et j'ai vu bien trop de victimes. Comment peut-on mériter un œil au beurre noir infligé par plus costaud que soi ?...
Dire
que l'on a chargé Ève, et toutes les femmes après elle, du Péché
de l'humanité ; asservi, battu, brûlé les femmes pendant des
siècles et des siècles de monstrueuse injustice... alors qu'en fait, le vrai crime héréditaire
est celui des porteurs de testostérone (non, pas tous, fort
heureusement) : cette brûlante détestation de la femme qui les
fait bander.
Alors,
dommage. Cent fois dommage. « Bonbon » m'a épatée dans
l'ensemble, et je persiste à saluer la performance littéraire. Je
souhaite à son auteur le renom que mérite un tel talent. Mais ce
bonbon me laisse un petit goût amer. Car même son titre, à
présent, me rappelle ce qu'est une femme aux yeux de tant d'hommes
encore : l'objet à la fois de convoitise, de crainte, de mépris, de répulsion, si atrocement fustigé par les ignobles frères Goncourt ; la
pathétique créature que Freud, pauvre fou, imaginait accablée, frustrée jusqu'à la névrose, de ne posséder qu'un clitoris entre
les jambes.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire