Je me suis aperçue ces derniers jours que, dans ma hâte à publier mon dernier apéribook – acte-réflexe, quelque peu thérapeutique, au sortir de l'hôpital où je venais d'être bouclée 24 h pour une suspicion d'AVC – j'avais livré à mes lecteurs un ouvrage entaché de nombreuses coquilles.
Même dans l'édition, on en évite rarement quelques-unes dans un roman de 500 pages ; surtout moi, qui suis un vrai chien truffier pour les repérer
dans les manuscrits des autres, mais ai du mal à relire
mes propres écrits.
C'est, hélas, beaucoup moins
pardonnable dans une nouvelle.
Même corrigées
aussitôt, ces bavures demeurent une épine dans ma chair, car je
suis toujours frappée, au sens le plus négatif du terme, par les livres
bourrés de fautes.
Je me garderais bien de
juger une œuvre sur ce seul critère (parce qu'il peut y avoir une
histoire bien menée, des idées intéressantes, chez un auteur
dyslexique ou de formation littéraire inaboutie, et trop isolé ou
désargenté pour se faire corriger par d'autres yeux). Mais, je
l'avoue, je me détourne au bout de quelques pages des ouvrages qui
cumulent ce défaut-là avec une prose maladroite et une intrigue
indigente.
L'autoédition à elle seule produit, même perdus dans la
masse, tant de livres admirables qu'une vie entière ne
suffirait pas à les dénicher, savourer et promouvoir ; alors je ne
peux pas m'adonner au passe-temps masochiste de m'infliger ceux qui n'ont rien pour eux – et
là, je parle de qualités objectives ! pas de sentiment
personnel, ou d'inclination pour tel ou tel genre, style ou histoire.
L'incident des coquilles et cette réflexion sur « qu'est-ce qu'un mauvais livre », exacerbée par un contexte particulier, m'amènent à m'interroger une fois de plus sur le bien-fondé de la critique littéraire.
Pas celle des
spécialistes dont le métier est d'analyser un texte et d'en faire
le compte-rendu, parfois impitoyable, mais toujours expert (du moins,
à la grande époque de ce métier noble et ingrat ;
aujourd'hui, c'est souvent une tâche essentiellement publicitaire).
Non, celle des blogueurs
littéraires et des auteurs-blogueurs qui, par goût ou par espoir de
réciprocité, s'aventurent à chroniquer les livres de leurs pairs.
Je vais m'efforcer, par
souci d'impartialité, de mener cette réflexion sous l'angle de ma
double casquette d'auteur et de lectrice, chroniqueuse à l'occasion.

Je défends depuis
longtemps la blogosphère littéraire contre le mépris qu'elle a
inspiré aux puristes à ses débuts, et dont elle pâtit encore bien
que l'édition, ayant compris l'importance croissante des « avis
consommateurs », ne manque pas de l'utiliser à des fins
publicitaires.
Nous entrons déjà dans
le vif de ce sujet si délicat.
En effet, un blogueur n'a
pas intérêt à compromettre ses partenariats avec des maisons
d'édition – relation dont il est fier à juste titre –,
en disant tout le mal qu'il pense de tel ou tel roman reçu en « SP »
(Service Presse), autrement dit, gratuitement en échange de son
avis. Le monde étant ce qu'il est, on imagine bien que, quoi que
prétende l'éditeur, le franc-parler du blog'litt serait sanctionné
tôt ou tard, et finirait peut-être par ruiner sa réputation dans
tout ce petit milieu.
Certains exercent
néanmoins une méritoire liberté de jugement. Mais la plupart, en
chroniquant un livre édité, pèsent leurs mots, et avec raison.
Cette expression, « se
défouler », va me valoir des réactions indignées dans la
blogo, car la grande majorité des blog'litt s'efforce de chroniquer
en toutes circonstances avec justesse et modération. Seulement, si
l'on voit tourner ces temps-ci beaucoup de débats sur le sujet,
c'est que les limites de l'exercice sont assez floues pour amener
toutes sortes de questions dérangeantes.
Les blog'litt
revendiquent leur droit à critiquer un texte en fonction de leur
ressenti. Ils ne sont pas des experts, soulignent-ils à juste titre,
mais des lecteurs qui divulguent leurs impressions. Certains
n'hésitent pas à comparer un blog à un journal intime, entendant
par là qu'ils/elles sont libres d'y déverser leurs humeurs.

Parfois positives : une polémique et le buzz qu'elle génère peuvent être très profitables aux ventes d'un livre.
Souvent négatives : derrière un livre, il y a l'auteur, être hypersensible la plupart du temps, pétri de doutes, d'états d'âme, de souffrances invisibles. Et puis, soyons honnêtes : une chronique négative dissuadera certains lecteurs de tenter l'expérience, or pour un autoédité, chaque vente compte - pour le moral, voire aussi sur le plan matériel.
Alors, doit-on toujours
s'abstenir de critiquer un ouvrage de peur de blesser l'auteur ?
La réponse est non.
À ce stade,
permettez-moi une petite digression personnelle.
Quoi qu'il en soit, c'est un fait : j'ai toujours été
plus soucieuse d'aider, protéger et ménager les autres que d'exiger
des retours. Véritable malédiction, car ce travers exacerbe chez
autrui la tendance à tirer la couverture à soi.
Cette dernière est bien
naturelle, au sens propre du terme : l'impératif de la survie
imprègne les êtres vivants d'une obsession égocentrique que seuls
contrarient puissamment l'instinct maternel – ou paternel, moins systématique donc plus méritoire – et le désir (nous autres
humains nous plaisons à l'appeler amour, oubliant qu'il survit
rarement à sa satisfaction durable : une fois la personne aimée enfin séduite et annexée, combien d'hommes et de femmes se désintéressent
progressivement de leur conquête ?). Mais pardon, je digresse toujours !
Là où je voulais en venir, c'est que cette disposition d'esprit très particulière me porte,
parfois presque malgré moi, à épargner la sensibilité d'autrui.
Cela ne m'a pas empêchée,
récemment, d'exposer en toute transparence mon sentiment suite à la lecture d'une nouvelle
écrite avec un talent remarquable ; mais où une phrase qui m'avait
choquée, et, de façon plus générale, le schéma d'interaction
entre les personnages masculin et féminin, m'ont inspiré une
réflexion assez virulente sur l'image de la femme dans l'imaginaire
masculin, la littérature, et la société dans son ensemble. Je suis
féministe et ne m'en cache pas – par réaction à l'injustice, non
par principe lié à mon sexe (ou plus exactement, à mon genre).
On m'a reproché
d'attaquer l'auteur, et je l'ai vécu comme un terrible paradoxe, moi
si soucieuse de ne pas froisser.
Seulement, si l'on ne
peut plus exprimer les réflexions que nous inspire un ouvrage,
alors, aurais-je tendance à dire : à quoi cet ouvrage sert-il ?
À mon sens, un livre doit toucher son lecteur sur quatre plans : esthétique (le style), émotionnel, philosophique et pédagogique. Le livre « parfait » m'emporte sur sa musique, m'émeut, suscite des réflexions, et m'apporte en prime de nouvelles connaissances.
C'est dire si je suis désespérée de voir que de nos jours, trop souvent, un roman n'est plus qu'une histoire superficielle et très formatée, qu'on lit pour se distraire, « se vider la tête » (horreur ! sinon dans des cas très particuliers) ; un produit de consommation jetable réduit à un « page-turner » et donc volontairement dépouillé de style, de réflexions un tant soit peu profondes (l'on ne peut considérer comme tels les aphorismes affligeants dont sont truffés les fast-books de Lévy ou Musso, que leurs fans me pardonnent) et a fortiori, d'éléments instructifs et documentaires.
On n'imagine pas, me
direz-vous, une enseigne de restauration rapide élaborant et
décorant ses sandwiches comme des plats de haute gastronomie...
C'est d'ailleurs à
partir de ce constat désolant que j'ai lancé le concept
d'apéribook ; pour démontrer que l'on peut faire de la
littérature à lire vite et n'importe où – grâce à sa taille :
un court récit –, mais suffisamment soignée pour proposer au
lecteur de se mettre sous la dent une vraie expérience gustative, de
préférence à une histoire creuse sous une forme très convenue.
Mais je me lance
là, sans doute, dans un combat largement au-dessus de mes petits
moyens... Et puis, me voilà hors-sujet !
Pour en revenir une fois de plus à l'art
de la chronique, je suis donc solidaire des blog'litt quand ils
affirment leur droit à exprimer leur ressenti sur un ouvrage.
Seulement voilà,
qu'est-ce qu'un ressenti ?
Si c'est : « ce
livre m'inspire telle ou telle chose, positive ou négative, qui me
fait rebondir sur telle ou telle réflexion, comparaison, ou sujet de
société », alors oui, nous sommes en plein dans l'aspect
intime de la chronique littéraire ; celui où le/la blog'litt,
s'appuyant sur sa lecture, exprime sa propre personnalité, ses
goûts, ses pensées, et où le livre remplit son rôle, devient
pleinement ce qu'il doit être : à fois une porte ouverte sur
notre monde intérieur, et une fenêtre offrant un angle de vue
particulier sur le monde extérieur. Pardonnez-moi ces métaphores foireuses,
l'idée n'est pas très facile à retranscrire en quelques mots.
Si c'est seulement
« j'adore ce livre, il est génial, il est fluide (dans le
sens : style ordinaire et vocabulaire courant, qui ne me
freinent pas et ne m'inspirent aucun commentaire), l'histoire est
prenante (autrement dit : construite avec les rebondissements
d'usage pour m'entraîner de page en page), je m'identifie
complètement au héros/à l'héroïne... » ;
ou, au contraire « ce
livre m'agace, ce n'est pas mon genre de prédilection, le style me
déplaît, il y a trop de mots que je ne comprends pas, c'est trop
compliqué ou au contraire, trop simple, je n'aime pas ce genre
d'histoire, le héros/l'héroïne ne me plaît pas »,
alors, danger ! Le
blog'litt a retranscrit des impressions volatiles, des ressentis
subjectifs, qui peuvent être liés à un contexte précis et ne
seraient peut-être pas les mêmes en d'autres circonstances, ou qui
démontrent simplement que ce livre ne lui parle pas, qu'il n'était
pas fait pour lui/elle et que la rencontre n'a pas porté ses fruits.
L'on trouve ce genre de réflexions dans trop de chroniques, je le dis en toute franchise. On a trop souvent l'impression que le/la blog'litt n'a pas analysé sa lecture, les pensées qu'elle lui inspire, mais se contente de lâcher la bride à ses humeurs, positives ou négatives : « Cet auteur est super sympa, son livre est génial ! », « Ce héros m'énerve, je déteste cette histoire ! »...
Le sacro-saint droit à exprimer ses ressentis ne peut pas, à mon humble avis, être invoqué pour livrer en pâture au public un avis aussi personnel, sur la foi d'une réflexion aussi mince et subjective (même s'il est de bon ton, en ce monde démoralisé – dans tous les sens du terme – de revendiquer haut et fort sa subjectivité).
Non, car être chroniqueur
littéraire implique une responsabilité.
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"C'est génial !" |
Une chronique
dithyrambique sans aucun discernement ni analyse contribue à
abaisser la compétence des lecteurs, qui perdent tout sens
critique ; y compris les autres blog'litt, car s'instaure alors
un phénomène mimétique où nul ne songe plus à remettre en
question le jugement du plus grand nombre.
On le constate à chaque
sortie d'un « page-turner » bien marketé : emportés
par l'effet de masse que les agents de presse de la grande édition
savent si bien orchestrer, les lecteurs deviennent des
consommateurs : ils s'enthousiasment pour des produits
industriels fabriqués à la chaîne pour être vendus en masse ;
ou pour des ouvrages autoédités dont les auteurs, aussi habiles
vendeurs soient-ils, trouveraient avantage à être aidés en privé
à améliorer leur copie, si leur objectif est d'être des
« écrivains » et non des marchands de livres. (Voilà
que je viens de me faire des ennemis parmi mes pairs ! Peu
importe, j'ai promis de toujours dire ici ce que je pense).
Une chronique assassine
implique encore davantage de responsabilités. Elle peut conduire un
bon auteur à cesser d'écrire, ou avoir d'autres effets
incalculables sur son moral, son avenir ou le contenu de son
assiette.
Alors bien sûr, l'on ne
va pas ménager un auteur pour ces raisons hors propos si son livre est
critiquable ; mais il faut bien vérifier que s'il
ne nous plaît pas, ce n'est pas pour des raisons purement subjectives.
Il m'est arrivé de lire un livre dans certaines circonstances, puis de le relire en une autre occasion par acquis de conscience, et de le trouver d'abord banal, ou au contraire fabuleux ; puis intéressant, ou à l'inverse, médiocre. L'humeur du moment, le contexte psychologique, hormonal, affectif – ce que mes parents pensaient de l'auteur, par exemple – avaient eu sur mon jugement une influence dévastatrice.
Raison de plus pour
laquelle, du simple fait qu'on va blesser et provoquer des
conséquences matérielles, il faudrait toujours envisager de
reconsidérer une chronique négative si l'on s'aperçoit qu'elle
émet un jugement tranchant sans motifs rationnels, sans prise de
recul.

Ne l'oublions jamais, le/la blog'litt est un prescripteur ; il influence son public, provoque des choix ; et cela, que ce soit délibéré ou qu'il ait l'innocente impression de songer à voix haute.
Voilà, mes ami(e)s, c'était ma réflexion du jour, une de plus sur un sujet qui nous tient beaucoup à cœur, que nous soyons auteurs ou blog'litt.
En résumé, livrer
publiquement ses impressions sur une œuvre littéraire est un
exercice délicat, qui ne doit pas être exercé avec légèreté
sous prétexte qu'un blog est un espace intime – étant public, il
ne l'est pas – ou qu'il s'agit d'une activité non rémunérée.
Cela exige au contraire
un énorme prise de recul et, sans que cela devienne un obstacle à
la liberté de jugement, nécessite une interrogation honnête sur les
conséquences de ce verdict. Pour le moins, attachons-nous à répondre à la
question : « Ai-je été juste, cohérent(e), impartial(e) ? ».
Pour finir, je vous
confierai à quel point je suis horrifiée de voir que le côté
virtuel, le fait que nous sommes derrière des claviers et non face à
des personnes perçues comme « réelles », tend à
pousser les gens à dire tout et n'importe quoi sans le moindre
ménagement.
On s'imaginerait mal
rencontrer nos voisins dans la rue, à plus forte raison être
invités chez eux, et héler les passants pour leur dire :
« Voyez ces gens, eh bien je ne les aime pas ! Ils sont moches, mal habillés, ils puent, ils parlent comme des ados (ou au contraire : ils sont prétentieux) ; ils m'énervent ! Je regrette d'avoir perdu mon temps avec eux. Ne les fréquentez surtout pas, ou si vous y tenez quand même, sachez bien
que moi, je les trouve imbuvables... »
C'est pourtant exactement
ce que font certaines chroniques en démolissant un livre et,
derrière lui, un auteur, sur la foi d'un ressenti subjectif que le ou la blog'litt n'aura pas pris la peine de relativiser en son âme et conscience.
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