Chers
ami(e)s auteurs,
Voici
enfin le billet sur la réécriture que je vous avais promis !
Cet
article sera un peu long, mais j’espère qu’il apportera des
éclairages et des pistes aux auteurs qui doivent travailler seuls
sur leurs écrits.
Morgan
Rozier (Morgan of Glencoe), pour qui j’ai réécrit Si loin du
soleil et le premier chapitre de
son préquel en cours de publication, et Marie Claude Barbin,
pour qui j’ai réécrit Ras le sein !, m’avaient par
avance donné l’autorisation d’illustrer mon propos avec des
exemples puisés dans leurs ouvrages.
Cela
devrait grandement faciliter la compréhension des aspects
techniques, afin que les auteurs débutants puissent, ensuite, porter
sur leurs textes un regard plus averti. C'est pourquoi certains
exemples seront un peu longs, afin d'être aussi pédagogiques que
possible.
Pour
simplifier la compréhension, j'utiliserai, comme en réécriture,
des codes couleur :
surlignage
orange pour les parties du
tapuscrit originel qui étaient à modifier,
vert
fluo pour mes commentaires à l'auteur,
bleu
pour les réponses de l'auteur,
jaune
pour mes propositions de réécriture,
vert
pâle pour mes interventions
mentionnées dans cet article, lorsqu'elles ne sont pas illustrées
par des extraits.
« NÈGRE »
OU RÉÉCRIVEUR ?
Dans
les deux cas, il s’agit d’un écrivain expérimenté.
La
différence entre un « réécriveur » et ce que l’on
appelle dans le monde du livre un « nègre », c’est que
le second écrit un livre de bout en bout à partir d’une idée,
d’un scénario ou d’une interview (qu’il réalise souvent
lui-même).
D’une
certaine manière, le travail de « nègre » est beaucoup
plus facile que le fait de travailler à partir d’un matériau déjà
existant, qu’il va falloir remodeler sans complètement le
dénaturer.
Beaucoup
de réécriveurs sont simplement chargés de mettre un texte dans une
forme « grand public » en lui appliquant un style de type
journalistique. D’autres, en revanche, sont des écrivains à part
entière, avec un ou des styles véritablement littéraires.
Le
même différence s’observe d’ailleurs chez les traducteurs.
RÉÉCRIVEUR
OU CO-AUTEUR ?
En
dehors de cas bien identifiés, comme par exemple le « Journal
à quatre mains » de Benoîte et Flora Groult, il est rare que
deux co-auteurs écrivent en alternance, et plus encore qu’ils
écrivent ensemble, ce qui
serait difficile à mettre en œuvre – c’est le cas de
le dire.
Souvent,
l’un des deux écrit le premier jet, l’autre le peaufine. Bien
entendu, les deux auteurs dialoguent et se concertent tout au long du
processus, comme très fréquemment en réécriture.
Enfin,
l’univers est en général le fruit d’une réflexion commune,
mais pas toujours ; il peut arriver que les deux co-auteurs
exploitent l’idée d’un seul d’entre eux, quitte à, s’ils le
souhaitent, inverser les rôles lors de leur prochaine entreprise
littéraire.
On
le constate : la frontière entre co-écriture et réécriture
est fort mince. La différence la plus notable, c’est que
pour les co-auteurs, il préexiste parfois une complicité, motif de
leur association. C’est alors une aventure entre potes.
Mais
en d’autres circonstances, c’est l’éditeur qui impose un
« co-auteur » dans la réalisation d’un projet.
On
peut dire que dans l’édition, lorsqu’un manuscrit est « lissé »
avant publication par un auteur « maison », il s’agit
clairement d’une réécriture ;
lorsque
deux auteurs s’associent volontairement pour valoriser le manuscrit
de l’un d’entre eux, l’on est plus proches de l’esprit de la
co-écriture.
En
littérature, décidément, rien n’est simple ! :-)
UNE
INDISPENSABLE COMPLICITÉ AUTEUR-RÉÉCRIVEUR
Cet
exemple de dialogue avec Morgan sur un point de l’intrigue de Si
loin du soleil démontre à quel point le dialogue, et une
bonne entente, sont nécessaires.
Pour
que l’ouvrage puisse prendre une forme optimale, il faut parfois
que l’auteur réévalue sa vision d’origine sur un point
d’intrigue.
Tout
doit se faire dans la concertation, mais le réécriveur doit faire
valoir son point de vue si l’auteur fait fausse route ; ce qui
arrive fréquemment, dans la mesure où un auteur a forcément moins
de recul sur son texte :
Là, nous avons un problème, parce qu’il est très curieux qu’il réalise maintenant, après coup, que Gabrielle est pour quelque chose dans ce projet d’union, qui doit se tramer depuis longtemps, car de telles choses ne se décident pas en quelques mois. Or dans le dialogue qui suit, tu l’as fait parler comme si tout cela était nouveau à ses yeux. Il faut donc rattraper la mayonnaise. À toi de formuler leur conversation comme tu l’entends, mais il faut qu’il ait réalisé soudain qu’elle est impliquée, qu’il le lui dise, qu’elle se défende, et que finalement il la menace de révéler son secret. Je te livre un modèle, mais j’ai bien conscience qu’il ne collera sans doute pas à la situation, alors à toi de l’adapter
En fait il sait rien du tout, et Gabrielle a rien fait. C’est Louis-Philippe qui a imposé son choix, mais comme le père ne veut pas s’avouer que son fils puisse avoir choisi librement le PIRE choix à ses yeux, il essaie de reporter le blâme sur Gabrielle. Et ils ont dû avoir cette conversation plus d’une fois… Sauf que cette fois Yuri est bel et bien là. Ceci dit, on peut aussi le faire comme le « il vient de découvrir qui est la mère de Yuri et ça fait mal. » Du coup j’ai un doute. Conseil ?
Cela demande réflexion, car dans l’un et l’autre cas tu vas avoir du pain sur la planche, et tu t’embarques dans une voie périlleuse.
Dans le premier cas (elle n’a rien fait et il ne sait rien, c’est le choix du dauphin) tu t’embarques sur un terrain mouvant : le mariage a forcément été conçu très en amont, donc le roi ne peut guère penser tout d’un coup, sans raison, que la reine y est pour quelque chose, puisque son fils a dû exprimer clairement son avis à maintes reprises. En plus, pourquoi cette scène gratuite à ce moment-là précisément ? Ça fait artifice, genre « je voulais une scène frappante entre le roi et la reine, alors j’ai monté de toutes pièces ce scénario du roi qui se défoule sur la reine juste à cet instant ».
Là, nous avons un problème, parce qu’il est très curieux qu’il réalise maintenant, après coup, que Gabrielle est pour quelque chose dans ce projet d’union, qui doit se tramer depuis longtemps, car de telles choses ne se décident pas en quelques mois. Or dans le dialogue qui suit, tu l’as fait parler comme si tout cela était nouveau à ses yeux. Il faut donc rattraper la mayonnaise. À toi de formuler leur conversation comme tu l’entends, mais il faut qu’il ait réalisé soudain qu’elle est impliquée, qu’il le lui dise, qu’elle se défende, et que finalement il la menace de révéler son secret. Je te livre un modèle, mais j’ai bien conscience qu’il ne collera sans doute pas à la situation, alors à toi de l’adapter
En fait il sait rien du tout, et Gabrielle a rien fait. C’est Louis-Philippe qui a imposé son choix, mais comme le père ne veut pas s’avouer que son fils puisse avoir choisi librement le PIRE choix à ses yeux, il essaie de reporter le blâme sur Gabrielle. Et ils ont dû avoir cette conversation plus d’une fois… Sauf que cette fois Yuri est bel et bien là. Ceci dit, on peut aussi le faire comme le « il vient de découvrir qui est la mère de Yuri et ça fait mal. » Du coup j’ai un doute. Conseil ?
Cela demande réflexion, car dans l’un et l’autre cas tu vas avoir du pain sur la planche, et tu t’embarques dans une voie périlleuse.
Dans le premier cas (elle n’a rien fait et il ne sait rien, c’est le choix du dauphin) tu t’embarques sur un terrain mouvant : le mariage a forcément été conçu très en amont, donc le roi ne peut guère penser tout d’un coup, sans raison, que la reine y est pour quelque chose, puisque son fils a dû exprimer clairement son avis à maintes reprises. En plus, pourquoi cette scène gratuite à ce moment-là précisément ? Ça fait artifice, genre « je voulais une scène frappante entre le roi et la reine, alors j’ai monté de toutes pièces ce scénario du roi qui se défoule sur la reine juste à cet instant ».
L’autre
point est plus intéressant, même s’il va être compliqué de
l’exposer. Mais il paraît artificiel, là aussi, que le roi
découvre ça maintenant, alors qu’il a des espions et a dû les
activer d’autant plus avant de donner son consentement au mariage.
Non, ça me paraît peu crédible.
Es-tu sûre de ne pas préférer le scénario que j’avais mis en place : le roi a soudain cru réaliser que la reine était satisfaite de ce choix, tout simplement en voyant son expression pendant les cérémonies (ça peut introduire de façon intéressante la suite de l’histoire : en fait, Gabrielle tremblait pour Yuri, et masquait ce sentiment derrière un sourire figé que le roi, parano comme il l’est, a pris pour une tentative de cacher sa joie) ; et comme le roi sait très bien qui est la mère de Yuri, s’imaginer que ce mariage est un coup monté par la reine le rend furax, et par conséquent, il la menace de tout dire au Dauphin sur les origines de Yuri, rien que pour le plaisir de casser un peu plus son épouse…
Je serais d’avis d’en profiter pour faire monter la tension d’un cran en précisant
Es-tu sûre de ne pas préférer le scénario que j’avais mis en place : le roi a soudain cru réaliser que la reine était satisfaite de ce choix, tout simplement en voyant son expression pendant les cérémonies (ça peut introduire de façon intéressante la suite de l’histoire : en fait, Gabrielle tremblait pour Yuri, et masquait ce sentiment derrière un sourire figé que le roi, parano comme il l’est, a pris pour une tentative de cacher sa joie) ; et comme le roi sait très bien qui est la mère de Yuri, s’imaginer que ce mariage est un coup monté par la reine le rend furax, et par conséquent, il la menace de tout dire au Dauphin sur les origines de Yuri, rien que pour le plaisir de casser un peu plus son épouse…
Je serais d’avis d’en profiter pour faire monter la tension d’un cran en précisant
« ce
mariage ne pourra se faire que si Louis ignore qui est la mère de sa
promise ».
On a toujours intérêt à distiller des bribes d’intrigue pour titiller le lecteur, plutôt que de tout garder caché jusqu’à la révélation, comme tu as tendance à le faire. Nourris ton lecteur !
Proposition de réécriture :
On a toujours intérêt à distiller des bribes d’intrigue pour titiller le lecteur, plutôt que de tout garder caché jusqu’à la révélation, comme tu as tendance à le faire. Nourris ton lecteur !
Proposition de réécriture :
—
Bravo, femme, tu as joliment
manœuvré !
— Pardonnez mon incompréhension, Votre Majesté, je ne…
— Ne te prétends pas étrangère à ce projet de mariage. Tu dois bien t’en amuser, n’est-ce pas ?
(…)
— Même si cette fille n’a pas la blondeur requise pour mettre au monde des Princes de France, articula-t-il avec l’air de mâcher un fruit pourri, elle représente indubitablement un choix judicieux sur le plan politique ; c’est pourquoi j’avais donné mon aval à cette union. Je n’en aurais rien fait si j’avais pu soupçonner que tu en étais l’inspiratrice, toi, intriguant derrière mon dos !
Ces derniers mots tonnèrent si fort que la Reine se tassa, s’attendant à être frappée.
— Pardonnez mon incompréhension, Votre Majesté, je ne…
— Ne te prétends pas étrangère à ce projet de mariage. Tu dois bien t’en amuser, n’est-ce pas ?
(…)
— Même si cette fille n’a pas la blondeur requise pour mettre au monde des Princes de France, articula-t-il avec l’air de mâcher un fruit pourri, elle représente indubitablement un choix judicieux sur le plan politique ; c’est pourquoi j’avais donné mon aval à cette union. Je n’en aurais rien fait si j’avais pu soupçonner que tu en étais l’inspiratrice, toi, intriguant derrière mon dos !
Ces derniers mots tonnèrent si fort que la Reine se tassa, s’attendant à être frappée.
—
Il est trop tard à présent, mais
je t’ai percée à jour, poursuivit son époux d’un ton glacial.
Hier, pendant les cérémonies, j’ai surpris ce rayonnement de
satisfaction derrière ton masque de soumission hypocrite. Alors,
parle ! Quel est ton but ?
— Je n’ai aucun but, Votre Majesté, et je n’ai pas du tout…
Comme il ignorait purement et simplement ses faibles protestations, elle se tut, baissant la tête. Le Roi éleva à nouveau la voix :
— Je n’ai aucun but, Votre Majesté, et je n’ai pas du tout…
Comme il ignorait purement et simplement ses faibles protestations, elle se tut, baissant la tête. Le Roi éleva à nouveau la voix :
—
Ce mariage dont tu te réjouis ne
pourra se faire que si Louis ignore qui est la mère de sa promise.
Tu tiens beaucoup à ce qu’il continue à l’ignorer, n’est-ce
pas ? Alors, tu es prévenue !
Il la jaugea un instant, vérifiant qu’elle était bien pétrifiée de terreur au fond de son fauteuil. Lorsqu’il sortit enfin, le gynécologue qui attendait dans l’antichambre se plia en deux à son passage, claquant presque des dents.
Quant à Aliénor-Héloïse Adèle de Fontainebleau-d’Armentières, duchesse-héritière de Lorraine, première demoiselle d’honneur de la Reine, elle frémissait encore de peur derrière la colonne du baldaquin, les paupières crispées et les mains pressées sur ses oreilles.
Il la jaugea un instant, vérifiant qu’elle était bien pétrifiée de terreur au fond de son fauteuil. Lorsqu’il sortit enfin, le gynécologue qui attendait dans l’antichambre se plia en deux à son passage, claquant presque des dents.
Quant à Aliénor-Héloïse Adèle de Fontainebleau-d’Armentières, duchesse-héritière de Lorraine, première demoiselle d’honneur de la Reine, elle frémissait encore de peur derrière la colonne du baldaquin, les paupières crispées et les mains pressées sur ses oreilles.
C'est cette version, plus logique, qui a prévalu ; mais les auteurs ne sont pas toujours aussi raisonnables.
AU
FOND, LA RÉÉCRITURE, À QUOI ÇA SERT ?
Dans
une maison d’édition, une partie de ce que l’on appelle le
« travail éditorial » consiste très souvent à faire
réécrire un ouvrage avant publication.
Il
est la plupart du temps très difficile pour un auteur d’opérer
des changements importants sur son propre tapuscrit (sauf bien sûr dans le cas d’un écrivain aguerri, et encore).
Plutôt
que d’amener l’auteur originel à assumer les améliorations qui
s’imposent, il sera plus économique pour l’éditeur de faire
« mettre au point » le tapuscrit par un professionnel
rémunéré, qui sait par expérience quel est le résultat visé et
effectuera rapidement ce travail
Le
« réécriveur » est donc un écrivain chargé
d’intervenir sur des ouvrages impubliables en l’état. Un peu
comme un diamantaire : l’auteur originel fournit sa pierre
brute, et le réécriveur va en ôter les scories, la tailler, la
polir, pour en faire un joyau commercialisable du point de vue d’un
éditeur.
D’une
manière générale, une réécriture vise à ce que rien n’arrête
le lecteur : ni aspérités dans le style, ni incohérences
ou lourdeurs dans l’intrigue ; il faut au contraire que tout
soit fluide, musical, bien rythmé, logique, bien campé, très
vivant, afin que l’histoire soit pleinement mise en valeur et que
les lecteurs vivent une expérience aussi agréable que possible.
PLUS
PRÉCISÉMENT…
Dans
le cas d’une réécriture complète – et non d’un
simple lissage ou formatage –, le travail s’exerce à
plusieurs niveaux :
● Les
défauts d’écriture : orthographe, conjugaison,
syntaxe ; tournures maladroites ou ampoulées ; lourdeurs, répétitions, tics
d’écriture ; fautes de ponctuation ou de typographie, etc.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil : comme beaucoup d’auteurs
qui se sont formés seuls, Morgan a des problèmes de concordance
des temps, confond le passé simple ou antérieur et le subjonctif
imparfait (eut/eût), et a acquis des tics d’écriture, en
particulier la tendance à faire de trop longues phrases et à
multiplier les adjectifs en les reliant par des virgules et des
« et ». Mon travail a consisté à restaurer
une forme intégralement correcte.
Dans
Ras le sein,
des tournures trop familières comme :
« Je
suis Moi, une personne à part entière et je vous fuck. »
sont
devenues :
« Moi,
je refuse que l’on m’assimile à une cause, si belle soit-elle.
Je prétends être une personne à part entière, qu’on se le
dise, et je n’entrerai pas dans votre jeu !… »
● Le
vocabulaire : erreurs, imprécisions, expression impropres,
pléonasmes…
Exemples :
Dans
Si loin du soleil :
Erreurs
de vocabulaire, comme « fléau »
pour « fleuret », « mitraillette à pied »
pour « mitrailleuse »,
etc.
Plénonasmes,
comme « en
pénétrant à l’intérieur », « semblait comme »,
« vieilli par le temps », « s’interposa entre
les deux », « elle en resta coite de surprise »,
« un lipizzan blanc », « se frottait les yeux,
perplexe »,
etc.
Contresens,
comme « l’objet » au lieu de « la cause »,
etc.
Expressions
fautives, comme « le vulgaire » (substantif péjoratif
et vieilli, qui désigne collectivement « la plèbe, le
peuple ») employé à tort pour désigner un individu :
« Elle
n’aurait jamais imaginé entendre dans la bouche d’un
vulgaire
un discours d’une telle élégance. »
Expressions
erronées, comme : « la
taille valorisée par le nœud de son obi » au lieu de
« mise en valeur »,
etc.
Expressions
inappropriées, comme « note
blanche » (qui
a un sens très précis : note non signée, notamment au sein
d’une administration) pour signifier « lettre sans contenu
explicite ». A été remplacé en l’occurrence par « lettre
blanche ».
Expressions
maladroites, comme « des
yeux sans double paupière » au lieu de « à
peine bridés », etc.
Dans
Ras le sein, Marie Claude Barbin, Réunionnaise,
employait parfois des mots ou expressions créoles que les lecteurs
non avertis auraient pris pour des fautes.
● Le
style : de lourd ou au contraire superficiel, d’appliqué
ou maladroit, il doit devenir léger, agréable, vivant, imagé,
adapté au sujet…
Exemples :
Dans
Si loin du soleil :
Une
phrase trop longue et maladroite, avec une faute de syntaxe, comme :
« Elle
éclaira
le fond du trou avec une lampe torche pour
lui permettre
de descendre l’échelle soudée au mur
qui menait au conduit, puis y sauta elle-même, la
torche entre les dents et la plaque d’égout
dans les mains, qui se referma avec
un bruit mat quand
elle la replaça au beau milieu de son saut. »
est
devenue :
« La
Selkie hocha la tête et éclaira le fond du trou avec une lampe
torche pour permettre à la jeune aristocrate de descendre l’échelle
soudée au mur. Lorsqu’elle sauta à son tour, la torche entre les
dents et la plaque d’égout dans les mains, l’ouverture se
referma avec un bruit mat, avalant le ciel. »
Dans
Ras le sein, ouvrage
sur le cancer,
« Quand
on touche aux seins, on
s’attaque aux symboles de la beauté, de la féminité, de la
sexualité, de la maternité. Qui
n’a pas connu dans son entourage, une épouse, une mère, une
sœur, une belle-sœur, une amie… en cours de traitement, en
rémission ou tout simplement décédée ? L’engouement
autour du cancer du sein dépasse de loin celui du cancer de la
prostate, peu vendeur car peu
flatteur pour l’image de la virilité. De
plus, aurait-on idée d’affubler un homme ou une femme,
d’un ruban marron couleur
caca pour sensibiliser à la lutte contre le cancer colorectal ?
Pas très glamour !
Le bleu c’est mieux ! »
est devenu :
« Le
cancer du sein s’attaque au symbole de la beauté, de la féminité,
de la sexualité, de la maternité. C’est le seul qui passionne le
public tous sexes confondus, le seul que l’on peut évoquer de
façon presque poétique. On imagine mal le cancer de la prostate
provoquant autant d’émoi : peu flatteur pour l’image de la
virilité, ce dépistage-là n’est pas vendeur. De même,
songerait-on à affubler les gens d’un ruban marron pour prôner
la prévention du cancer colorectal ? Pas très glamour, tout
cela. »
● Le
rythme : non seulement la lecture doit se faire sans
heurts, mais à chaque histoire son rythme, qui doit lui être
adapté. Les ralentissements, digressions, parties hors-sujet,
phrases à rallonge(s) doivent être éradiqués.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil,
l’abus de qualificatifs (en gras) nuisait au rythme, comme dans :
« l’aire
de combat, figurée par une place dégagée
au croisement de deux rues obscures
entre des immeubles sales
et miteux »
est
devenu :
« l’aire
de combat : une place déserte au croisement de deux rues qui
se faufilaient entre des immeubles presque en ruine. »
Dans
Ras le sein,
un long passage comme :
« N’en
déplaise à une copine (non touchée) qui voyait en cette démarche,
un moyen d’exorciser le mal, au mieux se marrer, quand je lui
disais que cela ne faisait pas avancer la recherche et que ça
n’aidait personne. Les cancéreuses seraient trop souvent les
victimes directes ou collatérales d’opérations commerciales
juteuses, médiatisées à outrance, qui profiteraient peu à la
recherche, tandis que les marques se frotteraient les mains avec
leurs produits dérivés. »
est
devenu :
« N’en
déplaise à une copine (non touchée) qui voyait en cette démarche
un moyen d’exorciser le mal. Elle n’en revenait pas de ma
mauvaise volonté quand je lui disais que ce cirque ne fait pas
avancer les choses, et en vérité, n’aide personne. Les
cancéreuses semblent plutôt servir de prétexte à de juteuses
opérations, médiatisées à outrance, qui profitent peu à la
recherche tandis que les sponsors, eux, se frottent les mains ! »
● Les
descriptions : des remaniements peuvent être nécessaires
pour les rendre moins longues, ou au contraire les développer. Il
faut parfois aussi les rendre plus imagées, leur donner du style,
lorsque le sujet s’y prête.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil,
une longue phrase unique, trop complexe et mal balancée, comme :
« Encore
très brun malgré ses tempes grisonnantes, l’œil gris et vif, le
visage ferme mais agréable avec son front intelligent et ses
pommettes nobles, et le corps mince et musclé, il paraissait
quarante ans mais la princesse devinait qu’il en avait au moins
cinquante, à cette sérénité que seul le temps apporte et aux
dires de Bran sur l’âge de la communauté elle-même. »
a
été coupée en deux phrases et remaniée pour devenir :
« Il
paraissait avoir à peine dépassé la quarantaine, mais la
princesse devinait qu’il avait au moins cinquante ans, parce que
seul le temps procure une telle sérénité. Indéniablement,
c’était un bel homme, encore très brun malgré ses tempes
grisonnantes, l’œil gris plein de vivacité, le visage ferme et
agréable avec un grand front intelligent. »
Une
scène importante méritait des développements supplémentaires :
« Celles-ci
impliquaient entre-deux cinq changements de vêtements et de
coiffure, dont trois à l'occidentale, quatre collations avec
champagne, deux avec thé japonais, sept séances de photo et
l'inévitable bénédiction des deux fiancés par le Roi de France,
une heure et demie de verbiage oiseux à subir à genoux. En cet
instant, la princesse n'avait simplement plus envie de faire le
moindre mouvement. Elle se serait bien endormie là, toute habillée
et maquillée, mais ses quatre obiko entrèrent en silence et lui
ôtèrent son obi et son kimono. »
Commentaire et propositions de réécriture :
« (…)
l’inévitable bénédiction des deux fiancés par le Roi de
France, une heure et demie de verbiage oiseux subi
à genoux Où ? C'est un
détail intéressant. Salle du trône ? Chapelle ? Tu peux en
profiter pour ajouter un détail évocateur, genre : « à
genoux sur le dallage de la chapelle, froid comme la mort » ou
« à genoux sur un somptueux tapis de la salle du trône, dont
chaque fibre avait paru s'incruster dans sa peau à travers la lourde soie de son kimono » Ce faisant, tu ajoutes une touche
supplémentaire à l'ambiance, au lieu de seulement dresser un
catalogue des événements.
"En
cet instant, la princesse n’avait simplement plus envie de faire
le moindre mouvement." : trop fade. N'hésite jamais à
empoigner ton lecteur pour lui faire subir ce que ressentent tes
personnages. Ne reste pas en retrait :
Même
comprimée dans ses vêtements jusqu'à se sentir exangue, la
princesse serait bien endormie là sans plus de cérémonie
(petit jeu de mot, les amateurs
apprécient toujours) (...)
Dans
Ras le sein,
un passage descriptif sous-exploité :
« Le
bâtiment rénové, couleur jaune safran, s’imposait au bout d’une
rampe pour handicapée aux barres rouillées, longeant des cuisines
délabrées. Ce qui me frappa, c’était le carrelage d’un autre
âge, à moitié décollé par endroits, la grande poubelle
crasseuse trônant devant la porte. Ça ne respirait pas la joie,
ici ! Au-dessus de ma tête, fixé au plafond, un
enchevêtrement de tuyaux de cuivre, de plastique vieillots,
semblait destiné à me mettre d’emblée, le moral à zéro.
À
l’entrée, un bouton couleur ocre, brisé en son centre,
nécessitait une gymnastique intellectuelle, quant à son maniement,
malgré l’inscription : « Appuyez pour ouvrir ».
est
devenu plus vivant et a servi de prétexte pour souligner l’ambiance
psychologique :
« Le
bâtiment dit « rénové », couleur safran, s’élevait
au bout d’une rampe pour handicapés aux barres rouillées qui
longeait des cuisines délabrées. Un vieux carrelage à moitié
décollé par endroits, une grande poubelle crasseuse trônant
devant la porte : ça respirait l’hygiène et la joie de
vivre, ici ! À l’intérieur, l’enchevêtrement de tuyaux
de cuivre et de plastique fixés au plafond me rappellerait
Andromaque,
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos
têtes ? »… Très réconfortant, vraiment !
Perplexité :
à l’entrée, un bouton défoncé au centre était flanqué d’un
panonceau « Appuyez pour ouvrir ». Appuyer, très
volontiers, bonnes gens ; mais où, vu l’état du bidule ?
Toujours cette impression désobligeante d’être un chimpanzé qui
ne recevra sa pâtée que s’il réussit un tour… Hélas, c’est
toujours ainsi : entre le jargon médical et ces lieux
austères, vétustes ou mal organisés, on se sent en permanence
dans la peau d’un non-initié s’apprêtant à subir un test
d’admission devant des juges au regard sévère. »
● L’intrigue :
vérification de sa validité, ajout de passages si nécessaire pour
préciser une situation, remodelage des scènes si besoin est…
Cet
aspect est, bien entendu, primordial pour l’efficacité d’un
ouvrage.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil,
je suis intervenue
sur les défaillances de l’intrigue originelle :
certains comportements des personnages ; les invraisemblances concernant les relations hiérarchiques, les attitudes de cour, ou encore le déroulement des enquêtes (ATTENTION
SPOILER : l’assassin disparu du train, l’empoisonnement de Yuri, la tentative d'assassinat de Ren, la recherche des bijoux…), certains détails des relations de
Yuri avec son père, le déroulement de la scène suivant la
tentative de viol, les batailles, etc.
Dans
Ras le sein, j’ai fréquemment interverti des
paragraphes, voire des portions entières de chapitres, pour
restaurer la logique du récit,
livrée parfois en vrac par Marie Claude au fil de ses souvenirs et
de ses émotions.
● La
logique : le texte doit
être expurgé de toute contradiction interne qui pourrait déranger
le lecteur, auquel tout doit apparaître comme limpide et
stisfaisant pour l’esprit.
Exemple
+ commentaire extrait du préquel
de La dernière
geste :
Mauvaise
présentation logique. Ce qui est étonnant, en réalité, c’est
qu’il ne s’agit pas de son cursus ; mais là, on dirait que
c’est parce qu’il est timide (déjà dit), qu’on
devrait pas lui parler de physique quantique. Proposition de
réécriture :
William
n’avait rien contre la physique quantique, non, rien du tout, mais
elle lui était aussi étrangère que les préférences sexuelles
des Feux-Follets. Pourquoi Lors Pruitt lui parlait-il de cela comme
à l’un de ses futurs élèves, deux jours avant la fin de l’année
scolaire ?
● La
cohérence : cela
peut être, comme dans
Si
loin du soleil,
une simple étourderie de l’auteur qui désigne le Dauphin tantôt
par « Louis » (comme son père) tantôt par
« Louis-Philippe », détail propre à désorienter le
lecteur.
● La
simplicité :
dans bien des cas, la meilleure formule est d’aller à
l’essentiel, sans effets de manches.
Exemple
+ commentaire extrait du préquel
de La
dernière geste :
« William
attrapa (!)
la boîte en tissu que le directeur lui lança et y prit un
bonbon. »
Plutôt :
« William
prit un bonbon dans la boîte habillée de tissu que lui tendait le
directeur. »
● La
psychologie des personnages : en dehors même des cas
fréquents (erreurs ou contradictions psychologiques, caractères
trop peu développés ou au contraire trop « forcés »…),
les
auteurs rédigent en ayant à l’esprit leur perception d’un
personnage ou d’une situation ; ils ne réalisent pas
toujours comment cela peut être ressenti par les lecteurs, qui ne
possèdent pas ces éléments.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil,
j’ai infléchi
l’attitude de Yuri pour la rendre moins dure et méprisante,
en faisant valoir à Morgan qu’il ne fallait pas la rendre dès le
départ antipathique aux lecteurs, qui, contrairement à elle en
tant qu’auteur, ne savaient pas à l’avance comment elle allait
évoluer.
Dans
Ras le sein,
j’ai atténué
ou supprimé certaines réactions d’humeur
de Marie Claude dans son récit des traitements subis ou ses
réflexions sur le système de santé ; là encore afin de ne
pas provoquer de réactions négatives chez les lecteurs, étrangers
à son calvaire.
● L’humour :
lorsque le ton de l’ouvrage le permet, voire l’exige, des effets
humoristiques doivent être ajoutés chaque fois que possible, ou
rendus plus efficaces.
Aucun
effet d'humour ne doit être amoindri par des lourdeurs de style.
Exemples :
Dans
Si loin du soleil :
« Le
machiniste hippie ne dit rien, mais se leva en abandonnant cartes,
mug et délicats
œufs
brouillés et se dirigea vers la porte du fond de son pas un peu
traînant. »
est
devenu :
« Sans
un mot, Douze abandonna son jeu et son petit déjeuner pour se
diriger vers la porte du fond à son allure habituelle de méduse
flottant entre deux eaux. »
« Il
lâcha son arme, qui tomba sur le sol avec un tintement clair,
détaillant avec des yeux perplexes mais brillants d’espoir
l’espèce de hippie qui se tenait devant lui, mains dans
les poches, immobile comme il l’eut été face à une
hallucination aux champignons. »
est
devenu :
« De
son côté, le hippie, les mains dans les poches, considérait le
chevalier comme s’il voyait un éléphant évadé de son kurta,
venu caracoler devant lui pour fêter une orgie de champignons
hallucinogènes. »
Dans
Ras le sein, j’ai renchéri sur l’humour
grinçant de Marie Claude en ajoutant de nombreuses formules
destinées à détendre l’atmosphère, comme :
« Hélas,
une fois de plus, la suite était du chinois. À croire que le corps
médical de toute la planète va faire ses classes à Pékin ! ».
J’ai
également choisi d’accentuer la dédramatisation chaque fois que
possible, tout en précisant mieux les enjeux psychologiques :
« je
travaillais comme une bête au club de sport, avec l’obsession de
faire fondre les kilos stockés sur mon ventre. Ce n’était pas
dramatique, mais une fixation peut vous pourrir le quotidien. »
est
devenu :
« je
m’escrimais comme une bête au club de sport, espérant anéantir
les kilos qui s’étaient stockés sur mon ventre comme une sacoche
de survie – rien de dramatique, en fait ; mais
faire une fixation sur ses petits bourrelets mignons peut très bien
vous pourrir la vie, et je n’avais nul besoin d’ajouter ce genre
de complexe à une image de soi vacillante de femme opérée du
sein. »
● La
documentation : chaque élément doit être vérifié afin
que l’auteur en titre ne soit jamais pris en défaut par un
lecteur sur un point quelconque, qu’il s’agisse d’aspects
techniques, géographiques, linguistiques…
Exemples :
Dans
Si loin du soleil, Morgan avait mis en scène des
combats où des troupes d’élite
tiraient en rafale et utilisaient des gaz dans un tunnel d’égout.
À
défaut de pouvoir rescénariser cette assaut non crédible, j’ai
mentionné l’effet dévastateur
des ricochets sur les assaillants et les ai décrits portant des
masques à gaz.
Ce
sont des détails, certes, mais le genre de détails qui incitera un
lecteur connaissant la question à sacquer le livre dans ses
commentaires. Le devoir du réécriveur est d’éviter de telles
conséquences.
Pour
Ras le sein, j’ai vérifié chaque information
d’ordre médical et reformulé ce qui était inexact ou
inuffisamment précis.
« Le
cancer correspondrait à un dérèglement du métabolisme
cellulaire. Ces maudites cellules cancéreuses friandes de sucre, se
piègeraient elles-mêmes. Comme elles ne parviennent pas à digérer
le glucose, elles fermentent, se divisent, se subdivisent.
N’oublions pas l’hypothèse « acide » liée à notre
mode vie moderne. Si votre corps secrète un PH trop acide
(penchez-vous souvent sur vos urines !), plus vite les cellules
cancéreuses s’engraisseront comme des mauvaises herbes.
Réalimentez vite vos tissus en oxygène, afin de lutter contre
l’excès de l’acidité. »
est devenu :
« Le
cancer correspondrait à un dérèglement du métabolisme
cellulaire : les cellules cancéreuses tirent le plus gros de
leur énergie de la fermentation du glucose. Une alimentation riche
en sucres favorise donc leur multiplication. Elle stimule aussi la
production d’insuline, facteur indirect de croissance cellulaire.
Enfin, les résidus de la fermentation acidifient les tissus
cancéreux ; là encore, cela facilite leur prolifération. Car
n’oublions pas l’hypothèse selon laquelle le PH de votre corps
jouerait un rôle non négligeable. Vous pouvez vérifier s’il est
« trop acide » en trempant régulièrement une
bandelette-test dans vos urines. Afin de contrer cet excès
d’acidité, favorisé par le mode de vie moderne, il vous faut
veiller à l’équilibre de votre alimentation et bien oxygéner
vos tissus par le biais d’une activité physique adaptée à vos
capacités.
● La
vie, tout simplement : il
est important qu’un livre soit vivant, emporte le lecteur. Une
certaine sécheresse de ton, des passages trop rapidement traités
peuvent empêcher cette alchimie.
Exemple
de réécriture + commentaires
(coaching) dans
Si loin du
soleil :
Une
marche tonitruante retentit au-dehors.
En
tant que musicienne, je pense que tu peux beaucoup mieux faire. Ce
sont ces petits détails vivants qui laisseront une impression
physique à tes lecteurs, genre :
« Au-dehors,
une marche tonitruante fit vibrer l’air de tous ses cuivres
triomphants, de tous ses tambours grondants. Glacée de la tête aux
pieds, Yuri sentit les battements sourds de la grosse caisse
résonner dans sa poitrine comme s’ils avaient remplacé ceux de
son propre cœur. »
Attention
à cette tendance très normale chez les jeunes auteurs, de décrire
minutieusement le film qu’ils ont dans la tête, geste par geste,
mais d’oublier que le lecteur a besoin qu’on le fasse aussi
sentir, ressentir, goûter, entendre…
UN
TRAVAIL DE FORME… ET DE FOND
Vous
comprenez donc que le travail de réécriture est une lourde tâche,
où le réécriveur doit s’immerger entièrement.
Pour
Si loin du soleil
(500 pages), cela a représenté 7 semaines de travail à raison
d’une dizaine d’heures par jour.
Pour
Ras le sein
(150 pages), 4 semaines à un rythme plus raisonnable.
Dans
les deux cas, chaque phrase, à de rares exceptions près, a été
remaniée ou complètement réécrite. De nombreux passages ont été
ajoutés pour harmoniser l’ensemble, mieux expliquer certaines
situations, adoucir les transitions, bref pour ne pas semer les
lecteurs en route.
Exemple
de remaniement + commentaires dans Si
loin du soleil
(toujours
un surlignage jaune
pour les passages réécrits ; surlignage vert
fluo
pour les commentaires ; sur fond blanc, le texte d’origine).
Vous
constaterez en passant que l’auteur et le réécriveur peuvent
collaborer en s’amusant :
Il s’interrompit. Un homme venait d’entrer dans la salle d’arme. Il avait entre trente et quarante ans, on ne peut pas être plus précis en voyant entre quelqu’un, ni même en l’examinant de près ! des cheveux bruns emmêlés retenus par un bandana et la sangle de ses lunettes, une longue kurta jaune à motifs d’éléphants oranges au-dessus de son pantalon gris de Fourmi, un collier de coquillages et l’air complètement perdu. Tu peux écrire « il avait les cheveux bruns » (ou : les cheveux emmêlés) ; tu peux écrire « il avait des cheveux bruns (ou : des cheveux emmêlés) ; mais pas « il avait les cheveux bruns emmêlés ». Par ailleurs, ton énumération est beaucoup trop longue et poussive. Je propose :
Yuri lui donna entre trente et quarante ans. Difficile, en vérité, d’attribuer un âge à cette drôle de Fourmi… Par-dessus son pantalon gris réglementaire, l’individu arborait un long kurta imprimé d’éléphants oranges sur fond jaune, dont l’encolure bâillait sur un collier de coquillages. Ses cheveux bruns, qui devaient agréer la visite d’un peigne tous les 29 février, étaient retenus par un bandana violet (ou autre couleur, en 2 syllabes de préférence) emmêlé dans la sangle d’une paire de grosses lunettes – ces dernières relevées sur son front, si bien qu’il semblait pourvu de quatre yeux ronds comme des culs de verre. Il avait l’air perdu, pour ne pas dire égaré.
Il lâcha son arme, qui tombasur le sol au
plafond, se serait plus original :-) avec un
tintement clair, ce
tintement clair revient trop souvent… en plus, le tintement est un
son clair par définition ! détaillant telle
qu’est bâtie ta phrase, c’est l’arme qui détaille avec
des yeux perplexes encore !
mais brillants d’espoir l’espèce de hippie qui se tenait devant
lui, mains dans les poches, immobile comme il l’eût
été face à une hallucination aux champignons. tournure
maladroite
Beaucoup trop long dans l’ensemble, aucune coupure pour souffler.
Il s’interrompit. Un homme venait d’entrer dans la salle d’arme. Il avait entre trente et quarante ans, on ne peut pas être plus précis en voyant entre quelqu’un, ni même en l’examinant de près ! des cheveux bruns emmêlés retenus par un bandana et la sangle de ses lunettes, une longue kurta jaune à motifs d’éléphants oranges au-dessus de son pantalon gris de Fourmi, un collier de coquillages et l’air complètement perdu. Tu peux écrire « il avait les cheveux bruns » (ou : les cheveux emmêlés) ; tu peux écrire « il avait des cheveux bruns (ou : des cheveux emmêlés) ; mais pas « il avait les cheveux bruns emmêlés ». Par ailleurs, ton énumération est beaucoup trop longue et poussive. Je propose :
Yuri lui donna entre trente et quarante ans. Difficile, en vérité, d’attribuer un âge à cette drôle de Fourmi… Par-dessus son pantalon gris réglementaire, l’individu arborait un long kurta imprimé d’éléphants oranges sur fond jaune, dont l’encolure bâillait sur un collier de coquillages. Ses cheveux bruns, qui devaient agréer la visite d’un peigne tous les 29 février, étaient retenus par un bandana violet (ou autre couleur, en 2 syllabes de préférence) emmêlé dans la sangle d’une paire de grosses lunettes – ces dernières relevées sur son front, si bien qu’il semblait pourvu de quatre yeux ronds comme des culs de verre. Il avait l’air perdu, pour ne pas dire égaré.
Il lâcha son arme, qui tomba
Beaucoup trop long dans l’ensemble, aucune coupure pour souffler.
Exemple
de remaniement d’un paragraphe dans Ras
le sein :
« Je déteste ces clichés ressassés dans les médias : « Mon combat. Ma bataille »,
synonymes de guerre.
Depuis
quand va-t-on en guerre contre un cancer ? Ça paraît puéril,
dérisoire. Tandis qu’un Alien
se vautre dans votre poitrine étalant ses pinces fourchues, vous
devez puiser au fond de vous, toute l’énergie indispensable pour
résister activement à Thanatos.
Comment
partirait-on
en guerre contre un cancer ? Ces métaphores bravaches sont
dérisoires. La vérité, c’est que tandis qu’un alien
se vautre dans votre poitrine et cisaille votre chair de ses pinces
maléfiques, vous êtes bien incapable de le combattre : vous
êtes trop occupée à survivre, puisant au fond de vos
ressources toute l’énergie nécessaire. »
« Je déteste ces clichés ressassés dans les médias : « Mon combat. Ma bataille »
Autre exemple, avec les commentaires :
quand Octobre Rose rendit son sinistre verdict : « la prédiction s’avéra exacte » semble dire que c’était déjà prédit, puis que cela a été confirmé. Et «s’avérer exact » est un pléonasme. j’étais touchée à mon tour
C’est
ce type de travail qu’un auteur indépendant doit s’efforcer
d’accomplir dans son coin, avant même les bêta-lectures, s’il
veut donner le maximum de chances à son manuscrit
(que ce soit auprès d’un éditeur ou sur une plateforme
d’autopublication).
UN
DEVOIR D’OUBLI DE SOI
La
réécriture, c’est le sacrifice du « moi », et tout
écrivain ne serait pas prêt à l’accepter.
D’abord,
en tant que réécriveur, l’on doit se couler dans l’univers de
l’auteur originel, en respecter les codes, la logique, le ton. On
n’est pas là pour briller à titre personnel, mais pour mettre
l’autre en valeur.
C’est
pourquoi réécriveur est un métier qui, parfois, s’exerce au
détriment d’une carrière personnelle.
Ensuite,
il faut accepter de bon cœur que l’auteur originel reçoive les
honneurs, soit invité par les médias, encensé par la critique.
Personnellement, je trouve beaucoup plus enviable de rester dans
l’ombre, mais j’ai d’excellentes raisons ; et j’imagine
que certains réécriveurs doivent, au contraire, vivre cela comme un
aspect très ingrat de leur fonction.
Enfin,
il faut supporter sans déplaisir que nos phrases, nos
« trouvailles » littéraires, soient attribuées à
l’auteur originel, et qu’il soit louangé à notre place. J’avoue
que c’est un peu plus dur ; non pas tant à cause des
louanges, que parce que ce que l’on écrit est un morceau de notre
chair, et que l’on ressent toujours un petit pincement à le voir
présenté sous le nom d’un(e) autre ; un peu comme si une tierce personne devenait légalement le père ou la mère de nos enfants. :-) Cela fait toujours un drôle
d’effet de lire des citations de sa propre plume, censées
illustrer celle de l’auteur originel. Mais c’est le jeu !
RÉÉCRIVEUR,
EST-CE QUE CELA RAPPORTE ?
À
cause de toutes les contraintes et frustrations inhérentes à leur
métier, les réécriveurs gagnent souvent assez bien leur vie.
Les
conditions habituelles d’un contrat de réécriture sont les
suivantes :
- Le réécriveur est salarié par l’éditeur, ou rétribué pour son travail, soit par l’éditeur dans le cas d’un réécriveur free-lance ou d’un autre auteur « maison », soit, plus rarement, par l’auteur originel : celui qui a eu l’idée et, souvent, a rédigé la version « brute » (quel que soit le temps qu’il y a passé, la version dite « brute » est celle qui ne serait pas publiable en l’état).
- En plus de cela, le réécriveur est mentionné, soit avec l’auteur sur la couverture, soit en première page intérieure par le biais de la mention « Avec la collaboration de X ».
- Enfin, l’auteur et le réécriveur se partagent les droits d’auteur, ce qui est normal puisqu’il y a une double paternité : « l’inventeur » du livre et son « arrangeur », sans lequel le livre n’était pas publiable.
Cette
dernière disposition fait parfois l’objet d’une renonciation de
la part du réécriveur lorsqu’il a perçu une importante
rémunération forfaitaire. Pas forcément, même dans ce cas-là ;
mon dernier contrat free lance
s’élevait à 50 000 € plus l’intégralité des
droits d’auteur. Mais il s’agissait d’écriture de A à Z à
partir de simples notes, soit une année entière de travail ; et le cas était un peu particulier, l'intéressé.e (pardonnez-moi de rester floue) dédaignant les droits d'auteur. Celles et ceux qui me suivaient déjà sur facebook
se souviennent que j’avais annoncé ce contrat VIP avec
enthousiasme ^^ : dans la majorité des cas, la rémunération
d’un réécriveur est loin d’atteindre de tels montants.
LA
JOIE DU « CO-NAISSEUR », comme on dit en élevage de
chevaux
Tout
le monde n’est pas disposé à utiliser son talent pour écrire des
livres dont des tiers endosseront la paternité, au lieu de se
consacrer tranquillement à ses propres œuvres.
Mais
lorsqu’on l’accepte de bon gré et que tout se passe comme cela
se doit, la réécriture implique une grande joie : celle d’être
à la fois « l’autre parent » et l’accoucheur (au
même titre, voire davantage que l’éditeur) de ce nouvel ouvrage
qui va partir à la conquête des lecteurs. Un ouvrage qui, sans
nous, n’aurait pas vu le jour, ou de façon plus lointaine, plus
improbable, ou encore sous une forme moins achevée.
Les
échanges entre l’auteur originel et le réécriveur peuvent
d’ailleurs se dérouler dans la sympathie mutuelle et la bonne
humeur, et apporter un élément positif supplémentaire à cette
expérience.
LE
CAS PARTICULIER DES AUTOÉDITÉS
J’ai
toujours trouvé navrant que des tapuscrits possédant du potentiel
restent dans les tiroirs de leurs auteurs, faute pour eux de trouver
un éditeur prêt à tenter l’aventure. Parfois parce que les
éditeurs sont frileux, qu’ils cherchent pour leurs collections des
ouvrages très formatés. Et souvent parce que (et cela,
les auteurs ne s’en rendent pas suffisamment compte), le
travail de réécriture nécessaire est trop important pour qu’un
éditeur veuille investir sur le tapuscrit.
Depuis
que j’ai rejoint les rangs des auto-édités, j’ai essayé de
faire profiter quelques auteurs de mon expérience.
En
dehors des deux tapuscrits déjà mentionnées, qui, étant donné
l’ampleur de la tâche dans une réécriture complète, ont fait
l’objet d’un accord de partenariat de type « pro »
(mais à des conditions « spéciales indés », bien
entendu), j’ai souvent aidé bénévolement les auteurs qui me le
demandaient.
Cette
aide s’est exercée à travers des conseils, mais aussi en donnant
des exemples de réécriture pour qu’ils réalisent dans quel sens
il faut travailler. Car un bon exemple vaut souvent mieux qu’une
longue explication !
Je
ne pourrais pas aider tout le monde, même si j’étais toujours
rémunérée pour ce faire. Mais je peux donner aux auteurs quelques
pistes pour auto-améliorer leur tapuscrit.
Exemple
des conseils de remaniement donnés à Morgan entre janvier 2013
et la réécriture contractuelle du printemps 2016 :
Page 10 : il y a une phrase inachevée après la harangue du Dauphin à ses soldats.
J’insiste sur le fait que la harangue est trop longue : un chef de guerre quel qu’il soit, et a fortiori un futur souverain, n’a pas à convaincre ses soldats : en l’occurrence, ils sont descendus [dans les égouts] parce qu’ils n’avaient pas le choix ;-)
En revanche, je trouve excellente l’idée de souligner le fait qu’ils sont des hommes, EUX [par opposition avec les fées qu’ils traquent] : ça, c’est très crédible. Mais au sein de deux ou trois phrases bien senties, pas d’un long exercice de rhétorique, tu comprends ?
Page 10 : il y a une phrase inachevée après la harangue du Dauphin à ses soldats.
J’insiste sur le fait que la harangue est trop longue : un chef de guerre quel qu’il soit, et a fortiori un futur souverain, n’a pas à convaincre ses soldats : en l’occurrence, ils sont descendus [dans les égouts] parce qu’ils n’avaient pas le choix ;-)
En revanche, je trouve excellente l’idée de souligner le fait qu’ils sont des hommes, EUX [par opposition avec les fées qu’ils traquent] : ça, c’est très crédible. Mais au sein de deux ou trois phrases bien senties, pas d’un long exercice de rhétorique, tu comprends ?
Enfin, j’insiste aussi : ce ne peut être qu’un sergent qui commande les artificiers (un lieutenant seconde l’officier d’une unité de combat, mais les artilleurs ne sont que quelques hommes au sein d’une unité).
Page 13 : des casques en plastique pour les soldats ? Ce n’est pas possible.
Page 16 : les forces royales gagnaient peu à peu du terrain (non « en influence ») ; « connaissait d’autant mieux ses limites qu’elle les repoussait » (singulier)
Comme
vous le voyez, des commentaires argumentés sont un précieux
concours pour un auteur, surtout s’il manque à la fois de recul
sur son texte (comme tous les auteurs, moi incluse !) et
d’expérience.
À
défaut de réécriture ou de co-écriture en bonne et due forme (qui
d’ailleurs pourrait être une solution, si des auteurs s’entendant
parfaitement voulaient collaborer : Boileau et Narcejac, les
sœurs Groult et bien d’autres, s’en sont fort bien trouvés),
j’encourage donc les auteurs indépendants à s’entre-commenter
de façon constructive et détaillée, pour s’aider mutuellement à
progresser dans leur écriture.
Tout
le monde aurait à y gagner…
J’aimerais
beaucoup, par ailleurs, voir davantage de remarques de ce genre dans
les chroniques (ou encore mieux, par message privé, mais je comprends bien que cela exigerait davantage de travail) : ces critiques précises et argumentées seraient très profitables aux auteurs. De mon
côté, je le fais toujours, au moins çà et là, lorsque je lis un
ouvrage.
Donc,
merci d’avance aux blog'litt qui accepteraient de jouer le jeu !
C’est
fini pour aujourd’hui, mes ami(e)s. Ouf ! J'ai beaucoup
transpiré pour vous compiler tout cela, mais j'espère vous avoir
été utile.
Si vous souhaitez en apprendre davantage, je vous suggère l'excellent article de Nila Kazar, écrivain et également réécriveur, que vous trouverez ici.
Si vous souhaitez en apprendre davantage, je vous suggère l'excellent article de Nila Kazar, écrivain et également réécriveur, que vous trouverez ici.
Dans
mon prochain billet, je vous confierai la suite de « ce que je
peux vous dire sur l’autoédition ».
Excellente
fin de semaine à toutes et à tous !