Depuis pas mal de temps, je
brame à tous les échos pour prôner la qualité de l'écriture. On
m'a traitée d'élitiste, et ce n'était pas un compliment.
Je ne
vous assommerai pas aujourd'hui à expliquer en détail pourquoi je
ne me range pas parmi les « élitistes » qui estiment que
l'art et la culture doivent être réservés à une frange de
privilégiés (horrible concept !) mais parmi les idéalistes pragmatiques,
convaincus que les bons livres sont le ferment d'un monde meilleur. En deux mots, j'en fais une affaire éthique, humaniste, qui me tient fort à cœur.
Si je vous écris
aujourd'hui, c'est simplement parce que je me suis rendu compte que mes propos à ce sujet pouvaient être mal interprétés, une fois de plus, mais sur un plan autre qu'idéologique.
Quand je parle de qualité
littéraire, je n'invoque pas la Grande Littérature, en particulier
la « blanche » – intimiste et assez souvent
ennuyeuse, avouons-le –, pour dénigrer, par comparaison, la
littérature de genre : polar, thriller, romance, SF, fantasy,
etc.
Je n'invoque pas non plus
les « classiques » pour flétrir les écrits modernes. Ce
n'est pas ma pensée, très loin de là ! J'ai lu les
classiques, bien sûr, mais, dans l'ensemble, ils m'ont moins marquée
que la littérature de la première moitié du XXe siècle,
qui fut ma plus grande source d'inspiration.
Enfin, même si j'ai à
titre très personnel une prédilection pour les styles qui
m'épatent, je ne fais pas l'éloge de l'écriture brillantissime de
certains auteurs, au détriment du mode d'expression efficace et
direct des créateurs de « page-turners ».
D'une manière générale,
je ne suis pas de ceux qui opposent l'art à l'artisanat. L'un et
l'autre ont leur valeur propre, leur « moment » et leur
public privilégié. Et l'on ne peut décemment glorifier l'un par rapport à l'autre au nom de je ne sais quel purisme déplacé, d'autant plus que parfois – assez
souvent – ils se combinent en un même ouvrage.
Non, mon propos est
ailleurs. Ce à quoi j'appelle les auteurs, c'est au sérieux. Au
travail de leurs textes. Je les conjure de ne pas se laisser aller à
publier n'importe quoi, sous le prétexte que dans notre monde
stressant, la mode est à la lecture « de loisir »,
facile, qui sert juste à se changer les idées en s'immergeant dans une
histoire, sans se soucier qu'elle soit bien ou mal écrite.
Certes, je trouve dommage
que maints lecteurs d'aujourd'hui renâclent devant les romans qu'ils
trouvent « compliqués », ceux qui informent, provoquent la
réflexion, ou dont le style laisse parfois l'intrigue un peu de côté
pour broder quelques phrases purement esthétiques.
Je pense qu'en se
détournant de ce genre de littérature (qui peut, en même temps, être
très moderne), ils passent à côté de certains des aspects les
plus enrichissants de la lecture, celle qui parle aux sens et à la
pensée, celle que l'on sent nous sublimer, nous aider à mieux vivre
le monde.
Mais encore une fois, là
n'est pas la question.
En exhortant les auteurs
à soigner leurs textes, je suis consciente que certains font ce
qu'ils peuvent. Je ne prétends pas qu'une personne qui ne possède
pas les acquis préalables, ou qui éprouve des difficultés
particulières – une personne dyslexique, par
exemple – n'a pas le droit de s'exprimer. Certainement pas.
Ces auteurs-là peuvent
avoir à dire des choses intéressantes, profondes, belles. Et
j'aimerais tant que chacun d'entre eux puisse être parrainé par un
auteur confirmé, qui l'aiderait à déployer ses ailes... C'est mon
rêve de « réécriveuse », forcément convaincue qu'il
faut parfois quelqu'un derrière l'épaule d'un auteur débutant,
pour qu'en fin de compte une œuvre aboutie puisse voir le jour. Mais
je reviendrai une autre fois sur ce sujet.
En vérité, ce que je
vise lorsque je fustige la littérature « fast-food »,
c'est cette dérive – initiée par une grande édition en
quête de profits – qui consiste à proposer des livres
purement commerciaux : une idée ou un genre « vendeurs »,
une intrigue « bateau », quelques rebondissements plus ou moins
bien ficelés, un style passe-partout, et le tour est joué.
Par le biais de cette industrie cynique, l'édition a habitué
les lecteurs à dévorer des millions d'ouvrages médiocres. Elle les
a accoutumés à suivre le fil d'une histoire sans recul, sans
réflexion, sans repérer les faiblesses et la vacuité de
l'ensemble. Elle les a rendus accro à une pâtée sans saveur,
sans relief, qui ne les nourrit pas pour l'excellente raison
qu'elle n'a pas pour ambition de les nourrir, mais seulement de leur
faire sortir leur carte bleue à un rythme aussi soutenu que possible.
Car chaque livre doit être oublié sitôt que lu, pour que le lecteur
passe aussitôt au suivant, victime d'un véritable manque, parce
qu'au lieu de rêver, de méditer, de rester imprégné par ce qu'il
a lu, il reste sur... du vide.
Tout cela est un procédé
commercial délibéré, redoutable. Une arnaque, disons-le tout net. Et très pernicieuse. Car plus les
lecteurs avalent de ce type d'ouvrages, moins
ils sont difficiles, moins ils sont en mesure de se dire « mais
c'est nul ! »...
Exactement comme avec les
films d'action. Entraînés sur une espèce de tapis roulant par des
procédés parfaitement calculés, les spectateurs restent suspendus
jusqu'à la fin, haletants. Alors que l'intrigue est toujours stéréotypée, le
rythme des péripéties réglé comme du papier à musique, les faits
invraisemblables, les situations « cliché », et le tout
creux comme une lanterne en papier. Mais trompeur, et très
addictif...
Déjà conditionnés par
tout cela, les lecteurs se sont trouvés confrontés au phénomène
de l'autoédition. Qui a aggravé la tendance.
Pourquoi ? Eh bien,
pour deux raisons.
D'une part, des petits
malins ont imité les méthodes de l'édition, et vivent aux
dépens des lecteurs en pondant à la chaîne des ebooks médiocres
conformes aux recettes du « vite fait mal fait, bien vendu ».
Ceux-là, en général, maîtrisent à fond le côté marketing et
parfois, n'hésitent pas à recourir à des méthodes plus que
douteuses pour faire monter leurs livres dans les Tops. Parce que si
MyKindex, dont je vous parlais récemment, n'existe plus, les achats
massifs de commentaires de complaisance ont toujours cours, paraît-il
(de commentaires dénigrant la « concurrence » aussi, et
c'est encore plus répugnant).
D'autre part, il y a des auteurs
pleins de bonne volonté, mais qui ne « savent » pas
écrire, et qui, donc, se contentent de raconter une histoire. Malheureusement pour eux, ils rencontrent un certain succès, parce que leurs idées de départ sont
intéressantes et que leurs histoires ont « un petit quelque chose ».
C'est à ceux-là que je
m'adresse. Pour eux que je me démène, entre quelques pages
corrigées par-ci, un livre entier réécrit par-là, et mes déclarations tonitruantes sur la littérature de qualité.
Parce que je
trouve désolant que des auteurs qui ont des idées, un « ton »,
parfois un vrai talent, gâchent leurs chances de progresser et de
proposer aux lecteurs des ouvrages plus aboutis.
Bon, ils vendront quand
même, on l'a bien vu : les lecteurs d'aujourd'hui avalent n'importe quoi. Mais
cela contribuera à amoindrir encore plus le sens critique de ces
lecteurs, dérive que je trouve terriblement dangereuse pour
l'avenir de la littérature, et même de l'humanité en tant qu'ensemble de consciences.
Seulement, ces auteurs n'auront
aucune chance de se faire éditer un jour, objectif que poursuivent,
en l'avouant ou non, beaucoup d'indépendants. (Après tout,
chacun son « trip » !)
Plus grave : je
ressens un sentiment d'insupportable gâchis lorsque je vois un
auteur qui a de l'étoffe en rester au stade d'un quasi premier jet,
alors qu'il pourrait faire tellement mieux.
Apprendre à écrire,
c'est l'affaire de toute une vie. Cependant, quelques conseils, et par-dessus tout la volonté de mieux faire, peuvent aider à progresser plus vite.
Je trouve
essentiel de rappeler à ces auteurs qu'ils ne doivent pas se
contenter du fruit de leurs premiers efforts, en se disant qu'ils ne
pourront pas mieux faire. On peut toujours mieux faire. Et il le
faut.
D'où mes cris d'orfraie
à propos de la littérature médiocre. Ce n'est pas pour dénigrer
les uns, culpabiliser les autres, marquer du mépris envers qui que
ce soit.
C'est pour rappeler aux
auteurs encore débutants, aux écrivains en devenir, qu'il faut « cent fois sur le métier
remettre leur ouvrage ». Ne jamais se décourager. Demander de l'aide au besoin, lire, s'exercer. Réécrire, se relire à haute voix,
améliorer encore et encore. Soumettre ses écrits à des regards sans complaisance, et ne pas s'offusquer des critiques, mais en faire son profit. Ne jamais se contenter de ce qui semble
« pas mal ». On en est fier, c'est légitime, mais, je le répète, on
peut toujours faire mieux.
Sans aller jusqu'à
peaufiner un tapuscrit pendant le reste de ses jours sans oser passer
à l'acte, il faut se fixer pour but de ne jamais publier quelque
chose qui n'est pas satisfaisant. La perfection n'est pas de ce
monde, mais l'excellence, si. Nous devons nous efforcer de l'atteindre. Je ne relis jamais l'un de mes
textes déjà publiés sans déplorer telle ou telle phrase qui aurait dû être
mieux tournée, tel ou tel point trop peu ou mal traité (raison pour laquelle je n'ai encore proposé aucun de mes ebooks en format imprimé). Mais je
sais au moins qu'avant de le livrer au public, j'ai fait de mon
mieux, en remettant mon travail en question avec toute l'honnêteté
et la rigueur dont je suis capable.
C'est cet effort
permanent, menacé par le règne lucratif du « vite fait mal
fait » et le manque de recul (et de références littéraires) des lecteurs, qui fait
toute la valeur de notre travail d'auteurs. Cet effort qui, à la
longue, transforme un auteur débutant en véritable écrivain. C'est
lui qui nourrit les lecteurs affamés d'autre chose que de page-turners bâclés. Lui qui permet l'existence d'une
production littéraire digne du nom de « littérature ».
Alors, si certains
veulent se contenter de jeter des mots sur le papier, pas de
problème. Si certains lecteurs s'en satisfont, tant mieux pour eux.
Mais rien ne m'empêchera de rêver d'autre chose, et de me démener
pour rappeler haut et fort que cet idéal-là est à la portée,
sinon de presque tous, du moins de beaucoup d'entre vous.
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