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Une fois n'est pas coutume, je vais rédiger cette chronique sous la forme d'une lettre à l'auteur.
« Ma chère Nila,
En lisant ton recueil de
nouvelles « Les rivières fantômes », bien des choses me
sont venues à l'esprit.
Je te l'avoue, j'ai eu du mal à
accrocher à la première. Puis peu à peu, je me suis
laissée emporter par cette plongée en gros plan dans l'intime,
l'instantané, l'indicible. Des nouvelles comme des flashs dans la nuit, précis et
diffus à la fois.
En dehors d'un certain
parcours et d'une certaine idée de la littérature, toi et moi
semblons avoir en commun une certaine expérience des champs de
bataille. Nous différons, en revanche, par notre façon de
restituer nos vécus.
Il y a trop de choses que
je tais, que je ne saurais retranscrire ; alors en écriture,
j'ai pris le parti de faire mon numéro. Je jongle, je me dépense en
cabrioles, je lance des paillettes, je fais le pitre. Je prends le
lecteur par un pan de chemise et je l'entraîne dans la ronde en
lui disant « Regarde, la mort n'est pas un drame, l'essentiel
est dans la beauté du monde et dans l'élégance de notre
acceptation ». La musique du style est là pour retranscrire
l'idée que seuls comptent nos efforts pour mériter cette beauté,
pour accéder nous-mêmes à une grâce éphémère. Je porte un
masque orné de plumes, car à mes yeux la vie est un carnaval
tragique où il faut s'amuser malgré tout.
De ton côté, tu fais le
mime : sobre, minimaliste, au point qu'une chroniqueuse a
ressenti que tu « exclus le lecteur » de ce Sarajevo en
ruines où tu l'entraînes. « Venez, voyez, mais attention !
il n'y a rien à voir, hormis si vous le décidez vraiment.
Allez-vous-en, circulez. Je dis ce qui est, ou plutôt je l'évoque,
mais ce n'est sûrement pas pour vous ». Voià ce qu'elle a
éprouvé, me semble-t-il.
Et je la comprends. Car
dans ces scènes, il règne un certain vide. Le vide assourdissant des champs de bataille après l'action, quand est retombé le
silence. Ne restent que des absences et quelques lambeaux de vies à
reconstruire. Les mots sont inutiles. Pourtant tu as trouvé ces
mots, des pans de phrases pudiques, sans effets de manches, qui claquent dans le silence comme des draps blancs pendus à
ces fenêtres béantes.
Et c'est pareil pour
chacune de tes nouvelles. Elles nous projettent dans un décor à
peine esquissé, puis s'attardent, avec l'air de ne pas y toucher, sur des
sentiments, des impressions, des choix de vie, des émotions, des
regrets. À la fin, il n'y a pas de chute, pas de surprise, pas de
point d'orgue. Ce n'est au fond que la vie qui passe, coulant comme
les rivières fantômes : sans début ni fin. Juste d'éphémères parcelles de réalité.
Souvent, l'espace d'un instant, tu
évoques avec précision le cheminement des états d'âme. Toujours
d'une façon épurée. Des photos en noir et blanc dans leur netteté
originelle, voilà ce que cela m'évoque. Cette forme
d'expression simple, limpide, souligne aussi la dualité vie-mort ;
mais comme ces projecteurs que l'on appelle des poursuites et qui,
impitoyables, viennent tout à coup souligner un point précis du
décor, un geste particulier d'un acteur choisi entre tous.
Cela, c'est ce que l'on
appelle « un moment ». Presque au sens scientifique du
terme : cette donnée qui, en physique, traduit la capacité
d'une force à faire tourner un système autour de son pivot. Chacune
de tes nouvelles est un moment. Et chacune recèle d'autres moments,
fragiles états d'équilibre où la vie suspend son souffle. Où
l'on sent que oui, c'est là, à cet instant précis, que tout se
joue. Où l'on comprend qu'en ce « moment » résident
toutes les clés du monde.
Alors merci, Nila, pour tous
ces petits moments de vérité. »
Vous l'avez compris, je vous recommande cette lecture.
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