Comme avec Les rivières
fantômes, j’ai eu du mal à entrer dans la première nouvelle de
ce recueil. Pour une raison très personnelle : Nila Kazar y
décrit la fascination de la narratrice pour un jeune Apollon. Or, je
n’ai jamais attaché beaucoup d’importance au physique d’un
homme : tout ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il se passe
dans sa tête ; et, secondairement, sa capacité à communiquer
(peu d’hommes sont doués en ce domaine…). L’important à mes
yeux, c’est l’échange, le partage et le fait d’être plus ou
moins en phase. Aujourd’hui, comme j’ai dû renoncer à toute
activité physique, ai voyagé bien plus qu'il n'est enviable et
abhorre aussi bien le shopping que les mondanités, je n’aspire
plus à aucun loisir, seule ou en couple ; d’où mon bonheur
actuel à vivre dans la seule compagnie de mes chats, mes livres et
mon ordi, en étroite liaison téléphonique avec un oiseau rare. Trêve de confidences ;
revenons au recueil de Nila Kazar.
Donc, cette première nouvelle ne
m’a pas accrochée. Nila s’amuse à y camper une narratrice imbue
d’elle-même, à mille lieues du caractère altruiste de l’auteur.
C’est l’un des jeux préférés des écrivains confirmés que de
se glisser dans la peau d’assassins, de grippe-sou, de
manipulateurs ou autres anti-héros. J’aurais préféré un serial
killer amoureux ou un extra-terrestre raciste, comme dans certains de mes Apéribooks, à cette figure trop réaliste
d’une jeune femme avide de succès : quand je lis, c'est pour m’évader des contingences via le hors normes, qu'il soit satirique, onirique ou édifiant. D’autres lecteurs préfèrent se
sentir proches de l’univers décrit ; tous les goûts sont
dans la lecture.
Mais la fin de cette
première nouvelle, très inattendue, avec une non-chute presque
abrupte conforme à l’inappétence de l’auteur pour le
spectaculaire des « chutes à la française », vient nous
rappeler que cette habile nouvelliste n’est jamais là où on
l’attend.
Car avec Nila Kazar, rien
n’est écrit d’avance, comme le démontre la nouvelle suivante.
Celle-ci est baroque, savoureux mélange d’étrangeté et d’ironie.
Entre chronique faussement grave et loufoquerie débridée, l’auteur
s’amuse, c’est flagrant !
La troisième nouvelle
est encore plus étrange, à la fois poétique, dramatique et
psychédélique : un petit air à la Boris Vian.
Dans la quatrième, à
nouveau la genèse implacable d’une rencontre ordinaire – coup
de projecteur sur la détresse, la cruauté, l’insondable gouffre
des motivations. Cette fois, c’est Francis Scott Fitzgerald que
cela m’évoque, en plus cru, moins « peinture sociale »,
mais tout aussi intéressant en tant que scan (faussement léger) de
l’âme humaine.
La seconde partie du
recueil se consacre pour l’essentiel au monde des écrivains.
L’auteur lâche la bride à sa verve, révèle son intime
connaissance de ce milieu à la fois égotiste et pathétique ;
les non-initiés y découvriront avec délices une foule de détails
fascinants, découpés au scalpel et livrés sans pitié à la
lumière d’une raillerie tendre quoique lucide.
L’ultime nouvelle,
petit bijou de sensibilité, me rappelle avec force la plume de
Katherine Mansfield : une fine tranche de vie ordinaire, décrite
par le menu à force de petits détails, sans avoir l’air d’y
toucher. Ce délicieux moment d’optimisme sous-jacent, d’ineffable
chaleur humaine, est à mon sens l’une des plus émouvantes
nouvelles de Nila Kazar.
Pour finir, comment ne
pas citer André Maurois qui écrivait, en commentant l’inoubliable
Katherine : « la diversité de la vie et la façon dont
nous essayons d’y faire entrer tout, y compris la mort, c’est
cela qui est si troublant » ?…
C’est, au fond, cette
alternance – illustration de la vie elle-même – entre des moments croustillants, voire triviaux, et des échappées
vers un véritable état de grâce,
qui fait la force et la saveur du recueil. En parcourant à bride
abattue toute la gamme des performances d’auteur, Nila Kazar nous
donne ici la mesure de son vaste talent.
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