Il y a eu de l'orage cette nuit. Un parfum de
terre mouillée et de verdure imprégnait ma chambre. À présent,
c'est le chaleureux arôme de pains au chocolat échappé des fours
de la boulangerie voisine. Chaque matin, je savoure à pleines narines cette gourmandise. Elle s'accorde avec les instants d'éternelle,
fugace magie où la fraîcheur pénètre à flots, où la pénombre
s'évapore, où je vois renaître les potées fleuries de ma
terrasse, la silhouette des buis taillés et l'étroite
« promenade », au sommet de la palissade, où mes chats
se sont accroupis pour contempler le jardin en contrebas.
Très vite, le soleil levant atteint le versant de
basse montagne qu'encadre ma porte-fenêtre. Sa chaleur blondit comme
une poêlée de choux-fleurs les pommeaux serrés des arbres,
luxuriant mélange d'essences aux teintes appétissantes :
toutes les nuances de vert, depuis les sapins presque noirs jusqu'aux bouleaux
presque jaunes ; le pourpre profond d'un prunus ; çà et
là, de riches floraisons en grappes poudrées de pollen ; des
cimes qui rissolent déjà pour annoncer l'automne. Peu à peu, un
voile de brume s'élève du sous-bois gorgé d'humus. Par-dessous,
les arbres sont toujours resplendissants de lumière, et cette
splendeur que voile un glaçage immatériel en paraît à la fois
plus délicate, plus triomphale.
Un à un, les chats reviennent, la fourrure toute
humectée de fraîcheur, m'offrir en ronronnant leur premier câlin
du jour. À pattes de velours ils cueillent ma main pour la lécher,
apposent sur mes joues le cachet de leur petit nez tendre, plongent
dans mes yeux un regard ruisselant d'amour. Comme tous les humains
pétris de certitudes, ceux qui croient les chats « égoïstes »
et indifférents se fourvoient cruellement, mais les détromper
serait impossible. Certains combats sont inutiles : mieux vaut
jouir de ce qui est. Les prétextes à menus bonheurs ne manquent
pas, voilà l'essentiel.
J'ai ouvert toutes les fenêtres pour chasser la
moiteur nocturne et rapporté dans mon lit, face au paysage, le
plateau de mon petit déjeuner : du thé à la menthe, du pain frais grillé, des fruits. Cette frugalité me
convient, et le spectacle de la nature me nourrit si bien !
À présent, la forêt est dorée à point ; sous le soleil, ses
sucs s'exaltent, prennent des tons de miel et d'ambre. L'angle des
rayons avive les couleurs, souligne les ombres, isole l'eau-forte
d'une branche nue. Une nuée de pigeons tourbillonne en roucoulant, à la grande
passion de mes petits fauves. Sur le platane, le merle familier
chante une mélodie qui se boit avec délices, comme une gorgée de
thé bien chaud, la vue des bois ensoleillés ou l'odeur des chocolatines. Même mes douleurs, mes maux sont intégrés au tableau. Si
pénibles soient-ils, ce sont des preuves de vie, accueillies sans
rancune.
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