Si vous aimez vous
shooter à l'adrénaline, je vais vous conseiller un sport que vous
pourrez pratiquer à la maison, devant votre ordinateur. Ah, là, je
vous sens tout réjouis ! Hé oui, aller trottiner sous la
pluie, ou se taper dix kilomètres de bouchons pour se rendre à la
salle, c'est moins tentant que de travailler son cardio au frais (ou
au chaud ; on a beau être en été, chez vous je ne sais
pas, mais ici, ça caille) devant son ordinateur.
Alors je vous donne la méthode.
Publiez un article. Peu
importe le sujet, à condition qu'il puisse donner lieu à une petite
polémique. Le choix est vaste : le réchauffement climatique ;
les dernières élections (heu non, pas ça ! On a dit sport, pas boucherie…) ; la
condition féminine ; la protection animale (aucun rapport avec
le sujet précédent, mauvais esprits !) ; et… ah oui, tiens : la baisse du
niveau scolaire. Ou encore mieux : des conseils un peu énergiques à l'intention des auteurs.
Puis, attendez
tranquillement en vaquant à vos occupations habituelles.
Vous pouvez être sûr(e)s
que dans les dix minutes qui vont suivre, peut-être moins si vous
n'en êtes pas à votre première séance, un ou plusieurs
facebookiens vont venir se proposer spontanément pour être votre
sparring partner (pour celles/ceux qui ne connaissent pas la boxe,
c'est le partenaire qui vous aide à vous entraîner).
Voici comment ils
procèdent.
Ils lisent votre article
en diagonale – ça, on s'en rend compte d'après leur vitesse de
réaction. Ils sortent une ou deux phrases de leur contexte, les
repeignent aux couleurs de leurs bêtes noires. (En noir, donc. Vous
me suivez ? Je veux être sûre d'éviter les malentendus, c'est
un réflexe acquis à l'entraînement. 😉) Puis ils ripostent
vertement à vos propos, qu'ils ont réinterprétés de façon à
bien se monter le bourrichon contre ce que vous avez écrit et qu'ils
n'ont pas vraiment lu – autrement dit, contre ce que vous
n'avez pas écrit.
Ils ripostent, donc, par
une attaque bien sentie. C'est là que ça devient intéressant. Même
s'ils sont complètement hors sujet, vous vous devez de leur
répondre, parce que ces diatribes sont publiques, et que tout
naturellement vous vous refusez à passer pour ce que vous n'êtes
pas. Peut-être même que vous tenez vraiment à vos idées. Donc,
grosse flemme ou pas, vous ne pourrez pas éviter d'aller au contact.
Le but, c'est de vous remuer un peu, pas vrai ?
Vous répondez, donc.
Courtoisement. Votre but n'est pas de cogner fort, rappelons-nous
bien, mais de faire monter progressivement le cardio. Vous commencez
par vous expliquer : celui ou celle qui vous agresse, il a dû
mal comprendre. Vous reprécisez les contours de votre pensée.
En face, le sparring
partner joue son rôle : lui, il continue à cogner. Il fait
comme si tout ce que vous dites pour aplanir le malentendu était
encore pire que le texte d'origine. Ou il déforme à leur tour vos
explications ; ça fonctionne bien, ça aussi. Il vous accuse de
tous les maux, avec des formules expéditives dont la forme se
retient plus que le fond. Souvent, il ne cherche même pas s'il y a
un défaut dans votre défense ; il revient vous piquer comme une guêpe, frappe à l'aveugle en
espérant vous étourdir sous les coups. Ce qui compte, pour lui,
c'est le rythme : sonner l'adversaire. Parfois, des spectacteurs
éblouis par le cogneur se mêlent aux échanges et assènent leurs
propres idées, contre ce qu'ils croient être les vôtres d'après
les réponses décalées du premier interlocuteur. Parfait, ça corse la difficulté.
À ce stade de
l'exercice, vous allez éprouver une irrésistible envie de laisser
tomber, de fermer facebook et d'aller caresser vos chats, ou boire
une bonne bière sur votre canapé. Surtout, ne flanchez pas ! C'est
là que ça devient intéressant.
Parce que peu à peu,
vous avez senti votre rythme cardiaque s'accélérer. Vous êtes
maintenant en pleine action. Votre température s'élève, votre
tension aussi ; vous sentez vos muscles se contracter pour accompagner
l'action, et votre cerveau se mettre en surmultipliée pour répondre
à tout le monde simultanément.
La situation se tend, les
échanges s'accélèrent, vous commencez à avoir envie de cogner dur
à votre tour, d'envoyer votre guêpe de service boxer chez les Papous. Restez correct.e, mais conservez l'allure. Allez
jusqu'au bout de l'effort. Encore un peu… Là, c'est fini. Votre
sparring partner raccroche les gants. Lui aussi est un peu sonné, il
a envie d'aller dîner ou embrasser ses enfants.
Vous vous sentez
épuisé.e ? Vous brûlez d'envie de tout gâcher en courant
vous empiffrer de chocolat ? Normal. Vous venez de vous infliger
un joli petit pic d'adrénaline. Même si vous avez l'habitude, ça secoue.
Bon, faut tout de même que je
vous le dise, cet exercice est intense, mais pas très bon pour la
santé. Les décharges d'adrénaline, ça s'appelle du stress. En cas
d'attaque physique, ça va sauver votre peau ; tous les jours,
en revanche, c'est très mauvais : ça perturbe votre organisme
et raccourcit votre espérance de vie.
C'est pourquoi, au fond, je vous
recommande plutôt d'éviter ce genre de sport un peu violent et
totalement inutile.
Sauf, bien sûr, si vous avez des convictions et
que vous tenez à tout prix à les défendre. Mais je ne saurais vous
y inciter, c'est par trop dévastateur.
À moins que, comme
moi, vous n'ayez rien à perdre et l'envie irrésitible de faire
comme si vous pouviez changer le monde. (C'est sûrement
psychiatrique, et ça doit porter un nom. Pas le syndrome de Don
Quichotte, ou de Mère Teresa, ils sont déjà pris ; mais un
truc de ce goût-là. Le désir de charger étendard au poing tout ce qui est injuste,
absurde ou mal fichu, et d'aider tout le monde à être plus heureux,
quitte à secouer le cocotier et à prendre des noix sur le crâne.
Non, ça ne se soigne pas.)
Si vous êtes dans ce dernier cas, je ne vous plains pas pour autant, vous y trouvez sûrement
votre compte. La foi, ça réchauffe.