Les
réactions à ma récente analyse de Platonik, le dernier roman de
Nila Kazar, m'incitent à vous proposer aujourd'hui une exploration
du thème de la chronique littéraire, déjà abordé sur mon blog
mais d'une façon trop peu méthodique pour être utile.
Je
l'ai évoqué souvent : les auteurs autoédités n'ont pas les
honneurs de la critique littéraire officielle, qui, d'ailleurs, a
été en grande partie vidée de sa substance. Pour un véritable
critique littéraire, il y a aujourd'hui dans les médias des
dizaines de chroniqueurs qui n'ont de spécialisé que le titre, et
sont chargés de faire plus ou plus discrètement la pub des ouvrages
publiés par la grande édition.
La
blogosphère dite littéraire, indépendante et bénévole, tient un
rôle très différent.
Avantages :
● Les
blog'litt ne roulent pour personne (parfois pour un ami auteur, mais
c'est marginal).
Leurs chroniques sont donc rédigées en toute liberté et expriment avec sincérité leurs réactions de lecteurs.
Leurs chroniques sont donc rédigées en toute liberté et expriment avec sincérité leurs réactions de lecteurs.
● À
quelques exceptions près (voir ici mon empoignade avec Sophie
Adriansen), ils ne considèrent pas que seule l'édition est Dieu et
qu'ils sont ses prophètes.
Beaucoup d'entre eux s'emploient au contraire à promouvoir l'autoédition avec un enthousiasme dont on ne peut que leur être reconnaissant.
Beaucoup d'entre eux s'emploient au contraire à promouvoir l'autoédition avec un enthousiasme dont on ne peut que leur être reconnaissant.
● Les
chroniques ont une influence indéniable sur les choix de lecture des personnes qui suivent ces blogs.
Inconvénients :
● Comme
je l'ai déjà exprimé, les chroniques sur la blogo, au même titre que les commentaires sur Amazon, monbestseller.com ou autres plateformes, sont des avis
consommateurs.
Je ne dis pas cela dans un sens péjoratif ; je veux seulement expliquer qu'il serait absurde et ingrat de leur reprocher de ne pas en faire davantage. Ce ne sont pas des critiques littéraires. En revanche, s'ils ont envie d'aller plus loin, de densifier leur rôle, tant mieux ! Nous avons tous à y gagner.
Une chronique, la plupart du temps, se borne à présenter l'intrigue et à émettre un « avis lecteur » plus ou moins favorable.
Je ne dis pas cela dans un sens péjoratif ; je veux seulement expliquer qu'il serait absurde et ingrat de leur reprocher de ne pas en faire davantage. Ce ne sont pas des critiques littéraires. En revanche, s'ils ont envie d'aller plus loin, de densifier leur rôle, tant mieux ! Nous avons tous à y gagner.
Une chronique, la plupart du temps, se borne à présenter l'intrigue et à émettre un « avis lecteur » plus ou moins favorable.
Car
les blog'litt n'ont la plupart du temps ni la formation, ni surtout
le loisir nécessaire à l'élaboration de critiques littéraires
dans les règles de l'art. Ce sont des lecteurs boulimiques, et ils
consacrent une énergie admirable à lire le plus de livres possible
et à dresser une chronique de chacun.
● Beaucoup
d'auteurs ont aussi une activité de blog'litt (normal, nous sommes
tous de fervents lecteurs) ; et à l'inverse, de plus en plus de
lecteurs deviennent auteurs.
Cette
fusion des rôles aggrave, dans l'autoédition, le phénomène
d'endogamie que l'on déplore déjà dans la
grande édition : tout le monde se connaît.
Apparaissent alors les conséquences d'une telle promiscuité : non seulement les
échanges de chroniques louangeuses sont légion, mais beaucoup de
blogueurs n'osent pas critiquer ouvertement un ouvrage.
● Les
auteurs renforcent cette dérive en n'ayant pas toujours la sagesse
de solliciter des avis négatifs par message privé, pour en faire leur profit avec reconnaissance. Certains insistent pour obtenir une chronique publique, en espérant
qu'elle leur attirera des lecteurs. Quitte à s'indigner quand elle
se révèle défavorable.
De
leur côté, certains blogueurs croient de leur devoir de chroniquer
systématiquement, qu'ils aient aimé ou non. Ce souci de
transparence part d'un sentiment honorable, mais je le crois inutile
et même contre-productif.
Je veux dire par là que lorsque l'ouvrage d'un auteur débutant est illisible, mieux vaudrait peut-être lui proposer de lui expliquer en privé ce qui ne va pas, s'il est prêt à le retirer de la vente pour le retravailler, que se croire obligé de publier à tout prix « Ah, l'histoire est intéressante ! » pour ne pas le décevoir.
Cela dit, il faut souligner une réalité peu glorieuse : les blog'litt qui font l'effort d'aider les auteurs en leur adressant en privé des remarques négatives se font souvent rembarrer avec rudesse, et bien peu d'auteurs se remettent volontiers en question.
Je veux dire par là que lorsque l'ouvrage d'un auteur débutant est illisible, mieux vaudrait peut-être lui proposer de lui expliquer en privé ce qui ne va pas, s'il est prêt à le retirer de la vente pour le retravailler, que se croire obligé de publier à tout prix « Ah, l'histoire est intéressante ! » pour ne pas le décevoir.
Cela dit, il faut souligner une réalité peu glorieuse : les blog'litt qui font l'effort d'aider les auteurs en leur adressant en privé des remarques négatives se font souvent rembarrer avec rudesse, et bien peu d'auteurs se remettent volontiers en question.
Du
coup, l'on trouve sur la blogosphère à la fois :
– des chroniques dithyrambiques, reflet de l'enthousiasme du lecteur mais pas toujours de la valeur absolue d'un ouvrage, ou parfois carrément complaisantes,
– des chroniques assassines (fruit de l'exaspération de blog'litt harcelés par les auteurs ou submergés d'écrits bâclés ? C'est très possible. Il y a certes des hargneux qui se plaisent à sacquer, mais je les crois rares),
– des chroniques assassines (fruit de l'exaspération de blog'litt harcelés par les auteurs ou submergés d'écrits bâclés ? C'est très possible. Il y a certes des hargneux qui se plaisent à sacquer, mais je les crois rares),
– et
des chroniques mitigées qui, parfois, ne sont peut-être qu'une façon
courtoise de dire « j'ai trouvé ça illisible » sans
blesser l'auteur.
● D'autre part,
les blogueurs véritablement littéraires sont minoritaires. Les
genres les plus lus (romance, thrillers, polars et « romans de
femmes » grand public) sont
aussi les plus chroniqués. Les lecteurs des genres en question sont
rarement friands de style et de virtuosité, aussi ces aspects-là ne
se trouvent-ils pour ainsi dire jamais évalués, disséqués, commentés.
Voilà
longtemps, d'ailleurs, que je cherche le moyen de regrouper ou lister les
blogueurs et lecteurs vraiment exigeants, ceux qui, éclectiques ou
non dans leurs goûts, s'intéressent en priorité à la qualité de
ce qu'ils lisent et sont en mesure d'émettre des avis et critiques
fondés sur une certaine compétence en matière littéraire
(attention, il n'est pas question de confondre formation
universitaire et compétences : des déconvenues seraient
possibles, comme je l'ai évoqué ici).
Mais
pour l'heure, ce projet reste un vœu pieux : les chroniques
telles qu'on les rencontre pêle-mêle sur la blogo donnent un avis
global, presque jamais une analyse plus approfondie.
J'imagine
qu'au fond, cela arrange pas mal d'auteurs. C'est bien dommage.
Car le
résultat, ce n'est pas seulement que les lecteurs exigeants ne
savent où et comment trouver des livres à leur goût ; c'est
aussi que les auteurs autoédités ne peuvent pas se fonder sur les
chroniques de leurs ouvrages pour évaluer objectivement leurs
qualités et défauts.
Il
s'ensuit un manque de repères qualitatifs : « que
vaut en vérité ce que j'ai écrit ? »
Sans
évaluations précises, difficile d'amender un ouvrage (comme le
permet l'autoédition numérique ; ce n'est pas son moindre
avantage) et de progresser en tant qu'auteur.
Beaucoup
d'indés n'en ressentent sans doute aucun besoin, mais je suis
préoccupée avant tout par le très grand nombre d'auteurs débutants
qui pourraient passer d'un talent potentiel, encore balbutiant, à
une vraie dimension littéraire.
À
ceux-là manque l'« arrangeur » – au sens que ce terme
revêt dans la musique – qu'était jadis l'éditeur-type :
un partenaire apte à conseiller ses auteurs et à les épauler dans
la finition optimale de leur manuscrit.
Sauf à
posséder toutes les compétences requises pour s'autoévaluer, les
auteurs autoédités en sont, pour beaucoup, réduits à publier des ouvrages
inaboutis.
Leur
impatience, bien naturelle, de mettre leur livre en ligne ou en
format papier est confortée par les avis Amazon ou les chroniques,
qui, nous l'avons vu, ne soulignent que rarement les défauts
d'écriture (au sens large : orthographe, syntaxe, conjugaison,
style, intrigue, originalité, etc).
D'où
la réflexion si répandue : à quoi bon peaufiner un manuscrit,
du moment que les lecteurs apprécient avant tout l'histoire ?
Mais
il y a lecteur et lecteur, et les auteurs qui espèrent faire
carrière en tant que tels feraient bien de ne pas en rester là.
L'autre
conséquence de l'absence d'une critique littéraire en règle, c'est
la frustration.
Pour
se sentir exister pleinement, un auteur a besoin de retours, mais pas
n'importe lesquels : son pied, c'est d'être commenté.
Pourquoi ?
L'espoir que des ventes vont s'ensuivre et qu'il entrera dans
le top 10 d'Amazon relève d'une ambition basique, mais loin d'être prioritaire. L'essentiel se trouve ailleurs.
Il ne vient pas non plus du fait que, dès son plus jeune âge, l'auteur rêvait d'être
un jour étudié à l'école, peut-être même de voir des
universitaires pondre des thèses ridicules sur son style et ses
motivations.
Non,
ce à quoi il aspire surtout, notre auteur, c'est, comme tout être
humain, à se sentir décodé. 😊
Même
nanti d'une famille nombreuse, même membre d'une tribu soudée,
l'auteur reste au fond de lui un animal solitaire qui frissonne dans
sa peau fragile et a le plus grand besoin d'absorber la chaleur des
foules – non pas à travers des ovations, comme une
vedette de football ou de cinéma, mais en ressentant que d'autres
antennes touchent les siennes.
À la
multitude inconnue, il s'obstine donc à tendre son livre qui
contient, qui est le décodeur. Il espère que, parmi tous ces
étrangers, des esprits vibrant sur une longueur d'ondes analogue à
la sienne s'empareront du message pour communiquer avec lui. Rappelez-vous cette petite gamme de cinq notes dans
Rencontres du troisième type. Voilà ce que sont, ce que recèlent nos livres.
L'auteur aimerait que de nombreux lecteurs s'écrient « Je vous ai
compris ! », comme un politicien bien connu… mais avec
sincérité.
Il
souhaiterait entendre d'eux le fameux « Je t'ai reconnu »
par lequel on traduit une rencontre fusionnelle.
Bien
sûr, être reconnu au sens de « célèbre »
pourrait satisfaire sa vanité et remplir ses poches ; mais savoir que
le message a été perçu, apprécié, qu'il s'est produit ce miracle de
compréhension mutuelle, n'est-ce pas le nirvana ?
Autrement
dit, l'auteur voudrait que ses lecteurs le rejoignent en pensée dans
ce monde hors du temps où communient en silence les amoureux des
livres, ceux qui les lisent et ceux qui les écrivent…
… Mais
aussi, qu'ils le lui fassent savoir ! Parce que, sinon, il ne
sera jamais sûr d'avoir suscité leurs émotions, fait entendre ses
idées, établi ce lien de connivence sans lequel il se sent stérile.
Or, le
seul moyen pour l'auteur de se sentir fusionner avec ses
lecteurs – même sur une seule phrase, un détail, une
fraction de message –, c'est que ceux-ci lui expriment ce que
son livre leur inspire, ce qu'ils y trouvent, ce qu'ils y devinent,
en quoi il les a changés le cas échéant.
D'où
l'importance des critiques littéraires ou, pour les autoédités,
des commentaires et chroniques.
En
quoi pourrait consister une chronique « idéale » pour
répondre à ces deux types de besoins des auteurs : évaluer leur travail et en percevoir l'écho ?
Tâchons de répondre à cette question.
D'abord, voici ce que contient le modèle le plus répandu.
● Une
photo de la couverture (cliquable, c'est encore mieux).
● Le
lien pour lire le livre en ligne ou l'acheter (ça semble évident,
mais on a vu des chroniqueurs l'oublier).
● La
présentation de l'auteur, le cas échéant.
● La
présentation du livre, cela va de soi.
Plus
précisément, l'esquisse de l'histoire, afin que les visiteurs du
blog puissent envisager rapidement si elle les intéressera ou non.
Le
plus sûr est de reproduire l'accroche qui figure en quatrième de
couverture : elle a été conçue par l'auteur ou l'éditeur
pour donner envie, sans trop en dire.
Lorsque
le chroniqueur présente l'histoire lui-même, les « spoilers »
(dévoilement de l'intrigue) sont absolument proscrits, sauf si une
révélation partielle et non pénalisante peut permettre d'aborder
des aspects essentiels de l'ouvrage. Dans le doute, mieux vaut
demander à l'auteur ce qu'il en pense.
Sachez qu'une présentation préliminaire n'est pas absolument indispensable : le chroniqueur peut aussi évoquer l'histoire au fur et à mesure de son exploration.
Sachez qu'une présentation préliminaire n'est pas absolument indispensable : le chroniqueur peut aussi évoquer l'histoire au fur et à mesure de son exploration.
● Pour finir, et en quelques mots, les raisons pour lesquelles on a aimé ou pas ce livre, et pour lesquelles on le recommanderait ou non.
Certains chroniqueurs appliquent un barème de notation, mais cela tend à disparaître, non sans motifs : les chroniqueurs ne sont pas des enseignants chargés de classer des élèves, et l'immense variété des ouvrages, même dans un seul et même genre littéraire, rend aussi vaine qu'insurmontable la tâche consistant à les comparer.
Jusque
là, nous étions dans le modèle classique. Voyons ce que nous pourrions ajouter
pour nourrir davantage les lecteurs et mieux répondre aux attentes
des auteurs.
Il va
de soi qu'il appartient à chaque chroniqueur de s'étendre sur les
aspects auxquels il est le plus sensible.
● Une
évaluation de la qualité littéraire : présentation, style,
cohérence et intérêt de l'intrigue, etc.
● Nila Kazar m'a suggéré de mentionner les références littéraires : les écrivains ou ouvrages qui ont influencé l'auteur. En effet, il peut être très intéressant de remonter aux sources où s'est abreuvé tel ou telle, et je ne doute pas que les auteurs l'apprécieront.
● Des sujets, idées, messages que l'auteur fait passer au fil de son ouvrage, avec le sentiment personnel du chroniqueur à leur lecture. Rien n'oblige à tout lister, il suffit pour le blog'litt de traiter ce qui lui plaît ou déplaît.
● Des sujets, idées, messages que l'auteur fait passer au fil de son ouvrage, avec le sentiment personnel du chroniqueur à leur lecture. Rien n'oblige à tout lister, il suffit pour le blog'litt de traiter ce qui lui plaît ou déplaît.
● Une
analyse minimale des moyens utilisés par l'auteur pour arriver à
ses fins : comment présente-t-il ses personnages, quel
vocabulaire emploie-t-il, comment construit-il son intrigue, où
semble-t-il vouloir nous amener ? (tout cela, bien sûr, sans
trop en dire.)
Le
chroniqueur pourrait penser que ses impressions sont trop
subjectives, qu'il n'a pas la légitimité nécessaire pour accomplir cette analyse.
Il doit réaliser que ce qui compte, c'est qu'il va aider l'auteur à analyser la façon dont son livre est perçu dans ses détails, ce
qu'il a eu raison ou tort de dire ou de faire, et comment il
pourrait mieux s'y prendre à l'avenir.
● Des
digressions personnelles sur les sentiments et/ou réflexions
provoquées par l'ensemble de l'ouvrage ou par différents éléments.
On
touche ici à l'aspect intime de la relation auteur-lecteur, à cette
communion que je décrivais tout à l'heure.
Je le
répète, un auteur a besoin de recevoir cet écho, de savoir comment
l'on a résonné en le lisant. De même qu'il a nourri son lecteur,
il doit pouvoir être nourri en retour ; cela fait partie de ses
besoins les plus intenses et les plus respectables.
En se
faisant chroniquer par vous, amis blog'litt, il n'attend pas
seulement d'être recommandé, ni même évalué, mais surtout de
comprendre en quoi et comment son livre vous a parlé, quelles
pensées il vous a inspirées, comment vous vous l'êtes approprié
et de quelle manière il se sera, le cas échéant, imprimé dans
votre mémoire.
C'est
d'ailleurs pourquoi je recommanderais plutôt de ne jamais chroniquer
à chaud, quitte à prendre des notes sur les points essentiels pour
s'assurer de ne rien oublier.
Au
bout de quelques jours, l'on se rend compte si un livre nous a
vraiment marqué ou non. Si ce n'était qu'une petite histoire sans
profondeur, comme les « calories vides » de certains
aliments, ou s'il a su nous sustenter durablement et nous aider à
construire, remodeler, enrichir notre esprit, c'est-à-dire ce que
nous sommes.
Chaque faiseur de bouquins, conscient d'être mortel, sait que les traces qui resteront de lui en tant qu'auteur ne consisteront pas en une kyrielle de chroniques sur la blogosphère, fussent-elles dithyrambiques.
Il sait que ce qui lui survivra pendant quelques années ou quelques décennies, le seul moyen d'avoir laissé si peu que ce soit son empreinte sur le monde, ce seront ces petites marques essaimées dans les profondeurs de nos hémisphères.
Voilà,
mes amis.
J'espère
que ce billet inspirera les uns ou les autres, s'ils souhaitent
mettre en question leur façon d'envisager leur rôle.
Nous
évoluons tous dans notre manière d'œuvrer, aussi bien en tant
qu'auteurs qu'en tant que chroniqueurs. Chaque fois que possible,
essayons d'échanger nos impressions : peut-être pourrons-nous
ainsi progresser ensemble – puisque dans ces mondes à
peine éclos que sont l'indésphère et la blogosphère littéraire,
tout est neuf, plein de promesses. Sans doute que le meilleur reste
encore à inventer…
Excellente
lecture et écriture à toutes et à tous !
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