
De quoi s'agit-il ? De la menace, proférée par certains libraires, de boycotter les livres en lice pour le Prix Renaudot. La raison de ce coup de sang ? La présence, parmi les présélectionnés, d'un roman de Marco Koskas autoédité via KDP.
Accepter qu'il figure parmi les postulants à un prix littéraire reconnu, ce serait soutenir le grand méchant Amazon… « On ne va pas payer le concurrent qui veut notre mort. » En clair : acheter à Amazon le livre lauréat (surtout s'il advenait que le prix soit décerné à Koskas) pour répondre à la demande de leurs clients, boostée par le rentissement médiatique du Renaudot. Oui, ça leur ferait mal ! parce qu'en l'occurrence, et c'est là que le bât blesse, l'éditeur est aussi libraire en ligne…
Cette histoire a déjà fait couler
beaucoup d'encre numérique dans les médias et sur facebook, et
presque tout le monde s'est déjà fait une opinion, j'imagine ! Mais je ne pouvais pas laisser passer certains commentaires sans vous proposer un petit billet récapitulatif et rappeler que, là encore, les choses ne sont pas aussi binaires que
l'on pourrait le croire.
Remarques :
• Je n'aborderai pas la question du boycott d'un écrivain
israélien par la grande édition, phénomène qui, Koskas dixit, l'aurait amené à s'autoéditer. En revanche, j'en profite pour prévenir, à
tout hasard, que les antisémites ne sont pas les bienvenus sur mon
blog. Ni les intolérants en général, tant qu'on y est.
• Je n'évoquerai que brièvement, ci-après, une question surgie dans le fil des discussions : le livre de
Koskas, tel que proposé sur Amazon, serait entaché de coquilles et
d'erreurs de mise en page. Je n'ai pas pris le temps de vérifier (à ce propos, navrée de ne pas avoir respecté le délai de publication annoncé : ma fin de semaine fut dure sur le plan santé). Toutefois, je fais confiance aux auteurs qui
en ont témoigné.
De toute évidence, seul le fait que Marco Koskas est habituellement un auteur édité et reconnu a permis à son livre autopublié d'en arriver là. On a un peu les boules en pensant à tous les indés qui publient des livres d'une qualité professionnelle optimale, au moins en termes de présentation, et qui n'auront jamais cette chance…
N'empêche : pour la première fois, un livre autoédité se retrouve en lice pour un grand prix littéraire. On aimerait qu'il soit impeccable, afin de mieux contribuer à revaloriser l'image déplorable de l'autédition. Si ce n'est pas le cas, quel dommage !
Cela dit, la chose ne m'a pas étonnée. Dans la grande édition, un auteur se contente de faire le job : écrire. Les correcteurs et l'équipe éditoriale s'occupent de
mettre le livre au propre et dans sa forme finale ; c'est d'ailleurs une partie de ce qui fait rêver les indés…
À mes débuts en
autoédition, j'ai moi-même publié des manuscrits mal mis en page (il en reste sûrement des traces). Il m'a fallu acquérir par la suite des compétences que je ne m'étais jamais
souciée de posséder.
L'aspect qu'il faut retenir – vous le
trouverez sûrement intéressant, vous aussi –, c'est qu'à l'heure où
le budget correction des maisons d'édition fond comme neige au
soleil, où beaucoup publient à tour de bras de la daube mal rédigée
ET mal présentée, l'indésphère aurait une occasion en or de se
faire remarquer du grand public et des amateurs de littérature en
mettant un point d'honneur à peaufiner sa production sur tous les
plans. Parce que : non, la situation n'est pas immuable ; tôt ou
tard, les indés auront leur chance de sortir de l'ombre si, dès à
présent, ils se décident à jouer le jeu de la qualité.
Avant de poursuivre : suis-je
partie prenante ?
Mes parents étaient libraires, j'en ai
déjà parlé sur ce blog. Ma tendance serait donc plutôt à la
neutralité.
C'est ce que j'ai fait remarquer à une
facebookienne qui tirait sur Amazon à boulets rouges. Elle m'a
rétorqué qu'en réalité, je prêchais pour ma paroisse, étant
donné que mon image de profil n'est autre que l'annonce de la sortie
sur Amazon du prochain Livre d'Élie et l'Apocalypse, L'Oracle
vaudou.
Cela m'oblige à commencer par rappeler
que je suis l'un des rares indés à ne pas faire la promo de mes
livres, en dehors du fait de signaler leur parution sur mon profil
facebook et la page livre concernée.
Cette annonce est la moindre des choses
pour tenir mes lecteurs au courant, étant donné que je n'utilise
pas d'autorépondeur (outil jugé incontournable, qui liste les
visiteurs d'un site ou blog et permet l'envoi de mailings) : je
me refuse à spammer mes contacts.
Dans le passé, j'ai expérimenté la
plupart des méthodes de promotion : exemplaires gratuits, promo
dans les groupes, annonces facebook, etc. Dans le cas de L'Oracle
vaudou, je teste la prévente. Non pas en m'attendant au moindre succès (il faudrait pour cela un battage intensif), mais pour
m'informer : je tiens à savoir quelles possibilités s'offrent
aux auteurs, afin de pouvoir leur faire des comptes-rendus à ce sujet.
Tout cela pour expliquer – je ne me contente jamais d'affirmer – à celles et ceux qui ne me connaissent pas, que je suis tout sauf un auteur qui soutient Amazon et ses propres intérêts du même coup.
Suis-je seulement une indé ?
Bonne question. Indé de cœur, solidaire de mes camarades auteurs,
sans aucun doute. Mais, comme je l'ai déjà dit, mon passé de réécriveur a pour conséquence que j'ai davantage un comportement de lecteur, voire d'éditeur, que d'auteur tel qu'on le conçoit d'habitude ; activité à laquelle je m'adonne en dilettante – quoique dans le plus grand respect des lecteurs – lorsque je l'exerce pour mon seul compte.
Donc, je ne roule pas pour Amazon. J'ai
alerté les lecteurs de mon blog sur certains de ses objectifs, de ses modes de fonctionnement, et sur les limites
de ce que l'on peut en attendre en tant que plateforme d'édition.
Mais la croisade anti-Amazon qui
ressurgit avec l'affaire Koskas est aussi simpliste que désastreuse.
Résumé de l'affaire
En vérité, les problèmes liées à cette
affaire vont très au-delà du « cas Koskas ». C'est pourquoi nous
allons examiner, un à un, les tenants et aboutissants qui
méritent notre attention.
1) L'HOSTILITÉ
DES LIBRAIRES ENVERS AMAZON
Elle s'exprime
dans deux registres différents.
Registre
éthique : « Amazon, c'est le mal. »
Les arguments :
● On lit partout que la
façon dont Amazon traite ses employés laisse beaucoup à
désirer. Je n'ai aucune information de première main sur la
question, aussi, je me contenterai de dire que c'est très
possible – probable, même – et bien triste.
Cela dit, je vois mal en quoi boycotter un
candidat à un prix littéraire changera la donne pour les salariés
d'Amazon. Si les anti-Amazon réussissaient à porter un coup
considérable à l'entreprise, cela ne ferait même qu'aggraver leur
précarité d'emploi. Je sais, c'est le genre de remarque qui paraît justifier les abus, etc. Si vous le voulez bien, évacuons ce débat : il est hors sujet.
● Ensuite, il y l'accusation de
volonté hégémonique. Là, les libraires sont directement
concernés : Amazon, disent-ils, leur ôte le pain de la bouche
en pratiquant une concurrence déloyale. Ce problème-là mérite un
examen attentif.
En France, la concurrence entre
librairies est très relative.
Pourquoi ? Parce que le prix
unique du livre (loi Lang) empêche les librairies physiques et les
grosses plateformes de vente de se livrer au dumping, à coups de
rabais sur lesquels les petits commerces ne pourraient pas s'aligner.
Dès le départ, Amazon s'est posé comme un concurrent redoutable en proposant la gratuité des frais d'envoi : pourquoi se déplacer en librairie quand on peut recevoir ses lectures chez soi pour le même prix ? Condamné, il
a prétendument obtempéré en facturant… 1 centime. OK, c'est
retors ! Mais on pourrait aussi considérer que cela contribue à
abaisser le coût de l'accès à la culture pour les personnes
défavorisées. Comme toujours, rien n'est tout blanc ou tout noir.
« Volonté hégémonique »,
sérieusement ?
Parfois, on se demande dans quelle
bulle vivent les protestataires. Est-ce que Google, Facebook,
Microsoft sont plus respectueux de la concurrence qu'Amazon ? Ou
les grandes sociétés françaises ? Revenez sur Terre, les amis.
Une entreprise n'est pas un être humain : c'est une structure
dont le rôle est de prospérer – si possible sans limites, dans
sa logique économique ! Que ce soit bien ou mal n'est pas la question ; il s'agit d'un fait que l'on ne changera pas d'un claquement de doigts.
Comme la grande majorité des pays, la
France et l'Europe disposent d'outils législatifs pour encadrer
la voracité des entreprises. Si l'on estime que c'est insuffisant – et c'est souvent le
cas –, alors il faut se battre pour faire évoluer les lois et
renforcer les contrôles. Pas lancer des campagnes hargneuses qui
déplacent complètement le problème et impriment
une seule chose dans l'esprit du public : les libraires n'aiment
pas l'autoédition (pas tous les libraires, heureusement).
Registre
touche-pas-à-mon-blé : « Amazon est en train de tuer les
librairies »
Nous voilà dans le vif du sujet.
Encore une fois, soyons sérieux.
Ce déclin ne date pas d'hier, ni de
l'arrivée d'Amazon sur notre territoire. Les librairies sont en
grave difficulté pour plusieurs raisons :
• Même
si l'on veut faire croire que tout va bien, nous sommes encore dans une
période de crise économique – à bas bruit, mais non
moins réelle.
• Les
commerces de proximité sont de moins en moins rentables, parce que
leurs charges (impôts, taxes, salaires, frais de gestion…) ne
cessent de s'alourdir.
• Les gens lisent de moins en
moins et, même addicts à la lecture, ils ont aussi de moins en moins de
moyens à y consacrer.
• Ils
achètent de plus en plus en ligne ou en grande surface : c'est
vrai pour tous leurs achats, pas seulement les livres. Il procèdent
ainsi faute de temps libre et/ou parce que les centres-villes deviennent inaccessibles en voiture, et le stationnement, hors de prix.
Du coup, ils préfèrent, soit grouper leurs courses dans un centre commercial où l'on se gare facilement, soit commander tranquillement sur
leur ordi, le soir en rentrant du travail ou le week-end sans sortir
de chez eux.
• Étant donné que beaucoup de lecteurs ont un budget limité et que l'usage de la liseuse se répand – c'est tout de même bien pratique –, ils optent de plus en plus pour l'achat de livres numériques. Dommage pour les libraires… (Quant aux éditeurs, on ne va pas les plaindre sur ce coup-là : non seulement ils ont pris le train avec un retard aberrant, mais, histoire de marger au maximum pour compenser le coût du format papier, ils s'obstinent à appliquer aux ebooks des tarifs disproportionnés avec leur prix de revient.)
• Il
y a de plus en plus de convives autour du même gâteau.
Si
Amazon cessait d'exister d'un coup d'un seul, le petit libraire du
coin, pauvre de lui, n'en serait pas moins concurrencé par la FNAC,
Cultura et des centaines de sites qui vendent des livres neufs ou
d'occasion – de Decitre à RecycLivre ou Gibert, sans
oublier les particuliers via PriceMinister, Momox ou autres – et
par quantité de points de vente physiques, des hypermarchés
aux kiosques Relay…
Et
ne parlons pas du fait que l'extinction d'Amazon amènerait au sommet
de la chaîne alimentaire une autre librairie en ligne géante, au
lieu de répartir entre les vertueux libraires de centre-ville la
manne d'un lectorat en raréfaction constante.
• Les
diffuseurs-distributeurs sont de plus en plus gourmands, et le
système de plus en plus dément.
2)
AH OUI, TIENS, ET SI ON PARLAIT DE L'OFFICE ?…
Je crois que ça s'impose, parce que cela va éclairer certains aspects de l'affaire Koskas.
Hachette,
le Frankenstein de l'édition
Comme
le monstre de Mary Shelley, l'office est une invention louable au
départ (les éditeurs s'engagent à reprendre les invendus), mais qui a totalement échappé à son créateur. Ce dernier, l'éditeur Hachette, l'avait mis en place au XIXe
siècle, c'est-à-dire dans un contexte très différent. Hélas, la créature n'a pas évolué dans le bon sens.
Le
système de l'office n'a rien à envier aux maux jaillis de la boîte
de Pandore : il a embarqué le monde du livre dans un
cercle vicieux qui incite les éditeurs à publier à un rythme
infernal, tandis qu'il transforme les librairies en locaux de stockage
et toute la chaîne de distribution, libraires inclus, en comptes de trésorerie.
Et
cette fuite en avant a pris de folles proportions depuis que les grands groupes
d'édition ont leur propre réseau de diffusion-distribution – non plus simple prestataire, mais filiale ou proche partenaire. D'où l'apparition d'une
autre forme de monstre, une hydre à deux ou trois têtes que l'on pourrait
intituler « édiffdistrib » pour faire court.
Vous voulez en
savoir plus ? Lisez par exemple ceci.
Un
seul mot : financiarisation
En
ces temps difficiles, la machine s'emballe allègrement, faisant
preuve d'autant de légèreté, et comportant autant de risques de krach, que la Bourse avec les subprimes avant le grand badaboum de 2007. (Et aujourd'hui encore, pour bien d'autres (dé)raisons : la course aux profits fait partout
et toujours le même genre de dégâts, lorsque la production et la
vente deviennent secondaires par rapport à un but complètement
artificiel : déplacer de grosses masses d'argent virtuel d'un point
à l'autre en nourrissant au passage certains acteurs du système.)
Voilà
pourquoi, aujourd'hui, l'édition produit toujours plus massivement,
avec de moins en moins de valeur ajoutée. Le grand éditeur voué à
découvrir des talents et à amener des ouvrages à leur plus haut
niveau de perfection est trop souvent devenu un industriel de la daube, qui
cherche le retour sur investissement au moyen de procédés
comptables à la frontière du douteux. On n'a pas affaire à une
chaîne de Ponzi, certes ; mais d'un point de vue littéraire, le système de
l'édiffdistrib est tout aussi malsain.
Dans
ce mode de fonctionnement pervers, qui se consacre tout entier à
faire tourner des stocks et surtout des fonds virtuels, le traitement réservé
aux libraires « de troisième niveau » (les petites
libraires chères à notre cœur, celles que l'on voudrait sauver)
est bien évidemment un traitement… de troisième zone.
Autrement
dit, l'un des problèmes rencontrés par ces petites librairies, bien
avant la concurrence, c'est que non seulement la grande édition et
sa branche ou alliée de diffusion-distribution ne les soutiennent pas, mais qu'au
contraire, elle les pressurent. Et lorsque le système de l'office
est détourné à des fins de profit immédiat par quelques libraires
sans scrupules, c'est l'arbre qui cache la forêt.
Pour
approfondir la question, voir par exemple cet article.
Ou celui-ci, témoignage d'un petit éditeur que je ne connais pas, mais
qui balance (plutôt les libraires que les éditeurs, forcément,
même s'il est clair que la critique vaut pour le système entier) ; tout en ayant le mérite de rappeler que, contrairement à ce que
croient beaucoup d'auteurs, le métier d'éditeur
n'est pas fondé sur une vocation de vampire – en dehors du compte d'auteur et des grands groupes d'édition qui se sont éloignés de leur véritable rôle.
Libraires :
le syndrome de Stockholm.
En
vérité, les libraires n'ont pas les moyens de mécontenter
l'édiffdistrib. Ils dépendent de ce partenaire aussi vital
qu'imposant – pour au moins deux raisons. Se fâcher avec l'édition,
cela signifierait ne plus pouvoir :
• proposer
à leurs clients les livres dont on parle : ceux qui font
l'objet d'une pub massive, qui sont présentés par les médias, qui reçoivent
des prix littéraires… (Tiens tiens ! Nous voilà au cœur du
problème.)
• faire
tourner leur stock sans réinvestir, puisque le système de l'office
permet de renouveler le contenu de ses rayons grâce aux « avoirs »
correspondant aux retours. Or, beaucoup de libraires sont cruellement désargentés. Souvenez-vous, je vous ai parlé de fuite en avant…
Voilà pourquoi si peu de librairies acceptent de prendre en dépôt des
livres indés : lors de sa tournée, le représentant de
l'édiffdistrib ne manquerait pas de s'en apercevoir. Et le libraire « infidèle » serait
sommé de choisir entre ses puissants fournisseurs attitrés et des auteurs
isolés, membres d'une communauté taxée de médiocrité littéraire
(parfois à raison) et de non-professionnalisme (et pour cause :
les autopubliés sont majoritairement des amateurs. Ce n'est pas
péjoratif en soi, mais cela l'est aux yeux d'un commerçant qui devrait
pouvoir tabler sur une production suivie, de qualité régulière).
Résultat,
les libraires soutiennent les éditeurs, qui les soutiennent… en paroles.
Et surtout, les manipulent afin de contrer l'objet de leur véritable hantise : un essor de
l'autoédition qui finirait par vider les écuries de l'édition et
compromettrait un monopole sur lequel est basée la prospérité des
grands groupes (car, encore une fois, il s'agit de ces derniers, non du petit éditeur ou micro-éditeur indépendant amoureux de son
métier).
Eh oui, elle est là (aussi), la volonté hégémonique.
3)
CE QU'IL FAUT EN DÉDUIRE
Mais
où sont les libraires d'antan ?
Résumons : la persistance absurde des offices sous une forme financiarisée, à mille lieues du concept d'origine, éloigne ce beau métier de ce
qu'il était au départ.
Du temps de mes parents, une librairie constituait
encore un point de rencontre entre amoureux de la lecture, où un
libraire passionné faisait partager avec ferveur ses goûts
littéraires… Aujourd'hui,
à part quelques résistants, le libraire est un commerçant comme un
autre, qui n'a plus le temps de connaître ce qu'il vend.
Au
fond, je crois que l'une des raisons de la colère des libraires,
c'est avant tout la souffrance – fondée, et dont il faut
tenir compte – provoquée par ce changement de statut et
les pressions auxquelles ils sont soumis, eux qui ne rêvaient que de vivre heureux au milieu des livres.
Ce
n'est pas une raison pour prendre Amazon comme bouc émissaire, quels
que soient ses torts. Parce que là, très injustement, c'est
l'autoédition qui en fait les frais.
Et
l'autoédition, ce sont des millions d'auteurs qui, eux aussi,
méritent le respect. Enfin, peut-être pas tous, vu les sales
combines qu'on peut observer çà et là ; et pas tous non plus, d'un
point de vue purement littéraire. Mais on ne va pas pour
autant laisser jeter le bébé avec l'eau du bain.
Libraires, arrêtez de nous casser les… oreilles et prenez vos
responsabilités.
Vous voulez qu'Amazon évolue
ou cesse d'exister ? Frappez donc
un grand coup en refusant tous les livres des éditeurs qui vendent
aussi sur le géant américain.
Cette concurrence-là est sans aucune
commune mesure avec celle représentée par l'autoédition ;
parce que le livre des Éditions Machin acheté sur Amazon (ou
n'importe où ailleurs, comme vu plus haut) ne sera pas acheté chez
le libraire du coin.
Oh, mais… mince alors, si les libraires faisaient une
telle chose, ils n'auraient presque plus rien à mettre en rayon…
Ben oui, parce que les éditeurs ne
vont pas se priver d'une partie de leurs ventes en refusant le
débouché que représente Amazon !
En revanche, pour l'édition,
l'autoédition est une réelle concurrence ; encore très
relative, là aussi, mais indéniable. Résultat, les éditeurs joignent
discrètement leurs voix à celles des libraires pour stigmatiser
l'autoédition – et non pas Amazon – à travers
l'affaire Koskas. Ni vu ni connu je t'embrouille, la rancœur
commerciale des libraires envers Amazon devient un
procès pour illégitimité à l'encontre des romans sans éditeur.
Le but est (presque) atteint :
tout le monde focalise sur la vilaine autoédition, [réel ou prétendu] nerf de la guerre
d'Amazon contre les pauvres libraires de quartier, et l'on oublie que
les éditeurs utilisent allègrement le même Amazon pour cartonner
davantage.
Alors qu'il y
aurait d'autres voies à explorer pour sauver les libraires…
4)
LES SOLUTIONS ENVISAGEABLES
Elles sont soit collectives, soit
individuelles.
Le site commun
Un premier pas a été franchi avec la
création d'un portail des librairies indépendantes : article de présentation et liens ici. Bravo !
Et si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter ceci pour en savoir davantage.
Sans prétendre concurrencer Amazon,
les libraires, en se fédérant, s'offrent une vitrine commune qui leur donne du
poids et de la visibilité, tout en facilitant la vie des
clients désireux de commander en ligne.
Excellente idée, bien qu'elle semble
peiner à passer à la vitesse supérieure. Peut-être que si les
libraires consacraient davantage d'énergie à la promotion de cette
solution, et moins de temps à crier haro sur Amazon… ? Non, qu'ils me pardonnent ce mauvais esprit. Mettre en place une solution collective n'est pas tâche plus facile pour eux que pour l'indésphère, bien entendu.
L'Espresso Book Machine
J'en parle depuis longtemps sur ce
blog. L'EBM, c'est une machine d'impression à la demande (POD, print on demand) qui
permet aux libraires d'imprimer sur place les livres que leurs
clients souhaitent lire en format papier, après les avoir choisis
sur catalogue ou en ligne. Voir aussi cet article.
Le libraire conserve ainsi son rôle
traditionnel d'expert-conseil, tout en disant adieu aux stocks
volumineux et à la manutention requise, et en évitant le problème des
retours.
Parfait, mais voilà… cela ne fait
pas du tout l'affaire de l'édiffdistrib, dont le but, nous l'avons
vu, est d'inonder les librairies d'exemplaires papier.
Sans compter
que l'investissement est tout de même important : tous les libraires ne peuvent pas se le permettre.
Pourtant, adopter d'EBM leur permettrait de travailler aussi bien avec l'autoédition qu'avec
l'édition… donc de les mettre en concurrence et de renégocier les
conditions de distribution.
Et pourquoi pas, rêvons un peu, de peser
sur la ligne éditoriale en réclamant davantage de livres de
qualité… Bien sûr, cela resterait marginal, étant donné le goût
du grand public pour le roman facile ; mais les petits libraires
fondus de littérature avec un grand L pourraient espérer
revitaliser cette niche en voie de disparition : au lieu de
subir, ils deviendraient demandeurs, et lorsqu'il y a demande, une
offre apparaît en réponse…
5) REPARLONS UN PEU DU STATUT DES AUTOÉDITÉS
Pour finir, deux aspects de notre travail d'indés
doivent être étudiés à travers le prisme de l'affaire Koskas.
L'édition, un choix plus onirique que fondé
De plus en plus d'auteurs édités
choisissent l'autoédition pour publier ce qu'ils veulent, sans se
soumettre à une ligne éditoriale. Il me semble que la plupart des
indés ne sont pas du tout conscients de ce phénomène.
À quoi bon fantasmer sur un passage à
l'édition, quand tant d'édités rêvent de faire le chemin
inverse ? C'est une question que j'ai déjà souvent abordée,
forte de mon expérience personnelle.
Je ne dis pas que l'édition tradi
disparaîtra complètement, mais l'autoédition vaut mieux que
l'édition à compte d'auteur déguisé ou non ; qu'une micro-maison
d'édition incompétente, comme il s'en crée de plus en plus (souvent
pour mettre en avant les écrits de leurs fondateurs) ; ou encore, que de
vaines tentatives auprès de la grande édition, propres à casser le
moral des auteurs et leur faire perdre un temps qu'ils devraient
plutôt consacrer à l'écriture.
Faut-il vraiment répéter que le très faible pourcentage d'acceptations par des maisons sérieuses ne justifie pas l'investissement des auteurs dans une course à l'éditeur ?
Sans compter qu'en
édition, l'exposition – la visibilité – d'un livre n'est guère plus
significative qu'en autoédition (sauf dans le cas rarissime d'un best-seller) et, surtout, toujours extrêmement brève ?
Ne vous faites plus d'illusions : sauf exception, je le répète, l'édition… c'est la mine.
• On n'écrit pas ce qu'on veut, on se fait retoquer, voire réécrire de fond en comble le cas échéant (avec pour objectif un contenu plus grand public, plus consensuel, plus conforme à la ligne éditoriale…). Même le manuscrit de l'auteur vedette d'une ME peut être refusé si sa publication est jugée inopportune. N'oubliez pas ce qui est arrivé à Marco Koskas.
• On est tenu par des délais impératifs.
• On est soumis à une ambiance de concurrence interne, de coups de Jarnac et de foire aux egos auprès de laquelle l'indésphère a tout d'une planète Bisounours, parce qu'au moins, on y choisit ses fréquentations.
• On est contraint à des démarches promotionnelles épuisantes – et bien moins gratifiantes que ne se l'imagine un néophyte.
• On est obligé de courir après la reddition des comptes pour toucher enfin ses maigres droits d'auteur…
Tout cela pour pouvoir dire « je suis un auteur édité » ? Waow, ça fait très cher payer la petite vanité de se présenter comme tel(le) à ses amis ou chez son boulanger… et même la chance – toute relative – de réussir à vivre de sa plume.
Mais, bon, c'est vous qui voyez. 😁
La position du monde du livre sur
l'autoédition : actualité et perspectives
À l'heure actuelle, l'autoédition
suscite un franc mépris chez les professionnels du livre. En prime, elle est perçue comme une menace, une concurrence déloyale.
Ne vous en souciez pas. Cette attitude
changera, de gré ou de force.
L'édiffditrib est en crise parce que
son marché se raréfie. Les libraires sont menacés, du moins dans
leur mode actuel de fonctionnement. Tout le secteur sera contraint
d'évoluer, et si l'autoédition lutte contre sa réputation de grand
n'importe quoi pour acquérir une image (même très partielle) de
sérieux éditorial et de qualité littéraire, le rapprochement déjà
à l'œuvre sous le manteau se fera ouvertement…
…Non plus sous une forme
désinvolte – des éditeurs faisant leur marché dans
l'autoédition pour réduire leurs coûts –, mais sous
forme de partenariats basés sur le respect mutuel.
De plus en plus,
les auteurs édités renégocieront leurs contrats pour acquérir
davantage d'autonomie, ou s'émanciperont complètement ; tandis que
l'autoédition, si elle se montre à la hauteur des enjeux, gagnera
ses lettres de noblesse. Les éditeurs sérieux deviendront alors, pour tous ces auteurs en liberté, des spécialistes de l'optimisation de
manuscrits et de la diffusion-distribution.
Cette transition est souhaitable, car
elle profiterait à tous. Au lieu d'être ligotés à l'édiffdistrib
par un système obsolète et délétère, les libraires pourraient
retrouver pleinement un rôle d'interlocuteurs privilégiés – conseiller un livre en boutique et sur site, permettre l'achat
en ligne (avec un outil de recherche plus approprié qu'Amazon et son
classement par le nombre de ventes), imprimer sur place et organiser des événements promotionnels.
Issue bien plus satisfaisante, efficace et pérenne qu'une chasse aux sorcières autoéditées, ne croyez-vous pas ?
Excellente lecture et écriture à
toutes et à tous !